Préface des Editions de Londres

« On ne peut pas améliorer les prisons » de Kropotkine est un texte écrit en 1887, extrait d’une conférence donnée le 20 Décembre, cinq jours avant Noël. Les anarchistes sont des gens passionnés par la justice, et par le système de justice partout dans le monde. Parce que les anarchistes sont des citoyens du monde, et que les systèmes de justice, et l’injustice qu’ils produisent, ils les connaissent bien, les anarchistes savent de quoi ils parlent lorsqu’ils évoquent les prisons. Comme Les Editions de Londres l’ont déjà expliqué à plusieurs reprises, la peine de mort et les conditions carcérales qui découlent des divers systèmes d’injustice sont des critères clé pour définir l’état d’avancement d’une civilisation. Maintenant que dans nos sociétés européennes, nous nous sommes enfin débarrassés de la peine de mort, il est grand temps de nous attaquer aux conditions carcérales dont l’iniquité devrait tous nous empêcher de dormir.

Les prisons sont un lieu…inhumain, pas une abstraction de l’esprit

Pourtant, nous semblons suffisamment en forme pour nous lever et aller au travail le matin. C’est que ces conditions carcérales ne nous émeuvent pas trop. Pourquoi devraient-elles nous émouvoir puisque tout est fait pour que nous regardions ailleurs ? Soit on nous parle des prisons d’ailleurs, dans les pays lointains, où les prisons sont des lieux d’injustice, où les prisonniers de ces régimes corrompus sont battus, torturés et tués. Ou alors, si on nous parle de chez nous, ce sont les criminels qui sévissent dans les rues dont on va nous rabâcher les oreilles, nous préparant psychologiquement à l’inéluctable conclusion, il faut les mettre en prison. Qu’il faille protéger la société des criminels n’est pas ici le débat. C’est évident. Trouver des circonstances atténuantes à ceux qui commettent des crimes et ne pas regarder quand des bandes organisées tabassent un gamin pour un oui ou pour un non, ou persécutent des filles qui eurent la malchance de naître dans des banlieues, n’est pas plus le sujet. Ce qui est le sujet, c’est le droit ou non que nous avons en tant que société de nous venger en traitant nos criminels de cette façon. D’ailleurs, Kropotkine, comme tous les anarchistes, sait de quoi il parle. La paille humide des cachots, en Russie, en France, un peu partout, il la connaît.

Les prisons fabriquent des criminels

Les prisons fabriquent des criminels. Ce ne sont pas seulement des lieux inhumains. Ce sont des usines à récidive. En cela, elles aboutissent au résultat opposé de celui qu’elles se proposent d’atteindre. Kropotkine cite des chiffres. Nous avons décidé de mettre ces chiffres en parallèle avec un article récent. Allons-y.

Kropotkine : 42 à 45% de tous ceux qui sont jugés pour vols, sont encore des récidivistes.

Maintenant : 59% des détenus sont de nouveau condamnés dans les cinq ans qui suivent leur libération, et 46% d’ente eux à la prison ferme

Kropotkine : 20 à 40% des détenus libérés de ces prétendues institutions de correction sont réintégrés en prison dans le cours des douze mois qui suivent leur libération.

Maintenant : plus de la moitié des récidivistes (54.6%) ont été à nouveau condamnés au cours de la première année de leur sortie, les trois quarts dans les deux ans. Plus on a été condamné, plus on récidive : les libérés qui avaient déjà une condamnation antérieure avant d’être incarcérés en 2002 sont 34% à recommencer. Ceux qui avaient deux condamnations ou plus sont 70% ; plus on a fait de prison, plus on en fera.

De l’inconvénient des considérations moralistes dans les problèmes pratiques

Le problème avancé par Kropotkine il y a cent vingt ans est pourtant simple. Pas plus que nous Kropotkine ne cède à l’angélisme. Des crapules, il en a vu en prison, et des gens bien aussi. Mais le but ici n’est pas de punir. Le but n’est pas non plus de transformer les gens. Le but est simple : éviter qu’une certaine partie de la population ne nuise, ne maltraite, n’attente à l’autre partie de cette population. Alors, quand on a des chiffres comme ceux-ci, la conclusion est simple : non seulement la prison est un lieu inique, qui jette les criminels en pâture aux autres criminels, mais c’est aussi un lieu qui ne réforme pas les gens. D’une corrélation nous ne sommes pas longs à imaginer une causalité : si la prison fabriquait des récidivistes parce que c’était un lieu inhumain ? Alors, les prisons sont toujours les oubliettes de la société. Témoin, ce mal français qui consiste à augmenter la population carcérale faute de mieux sans pour autant augmenter l’espace carcéral. Alors, soit on libère les gens, soit on les met en prison. Mais qu’on ait le courage de choisir. Enfin, tout ceci ne résout pas le problème. Comme on s’est débarrassés de la peine de mort, il est temps de se débarrasser des prisons. Elles sont injustes, cruelles, et sont des bombes à retardement, ie elles fabriquent des criminels. Au lieu d’évacuer le problème afin de mieux dormir, restons éveillés, et penchons nous sur le problème : il est grand temps.

© 2011- Les Editions de Londres