Préface des Éditions de Londres

« Pantagruel » est un roman parodique de François Rabelais publié en 1532 sous le pseudonyme d’Alcofribas Nasier. « Pantagruel » est le premier livre de la geste rabelaisienne. Suivront Gargantua, le Tiers livre, le Quart livre, le Cinquième livre.

La version des Editions de Londres

La version que nous proposons est celle de François Juste éditée en 1542 contenant les dernières corrections faites de la main de Rabelais.

L’idée d’écrire Pantagruel est venue à Rabelais en lisant les Grandes et inestimables Chroniques de l’énorme géant Gargantua, dont il avait été « vendu plus par les imprimeurs en deux mois qu’on a acheté de Bibles en neuf ans ». Sans doute à court d’argent ( ?), Rabelais voulut faire un livre qui se vende aussi bien et il nous « offre maintenant un autre livre du même tonneau, sinon qu’il est un peu plus véridique et digne de foi que n’était l’autre. »

Notre adaptation en Français moderne est originale. Comme avec les Essais de Montaigne, il nous a semblé que le moment était venu d’offrir au lecteur moderne une version plus lisible que le Français original du Seizième siècle, sans que la version moderne éloigne le lecteur de l’action et des personnages de l’époque, et qu’elle restitue fidèlement l’incroyable inventivité du langage et des situations rabelaisiennes. Nous avons donc modernisé l’orthographe, traduit les mots incompréhensibles, conservé les néologismes, utilisé des annotations quand c’était nécessaire, respecté le rythme de la phrase du Seizième siècle. Cette traduction s’appuie sur l’édition de François Juste éditée en 1542. Nous avons utilisé les notes figurant dans l’édition de Pantagruel de Le Duchat et Le Motteux (1711) et dans celle de Burgaud des Marets et Rathery (1870). Notre traduction en français moderne a cherché à fournir un texte agréable à lire en évitant l’effort continuel de déchiffrage du vieux français. On peut ainsi retrouver le plaisir de la lecture que devaient ressentir les contemporains de Rabelais.

Enfin, pour plus de confort de lecture, et parce qu’il s’agit d’une des avancées permises par le livre numérique, notre navigation « paragraphe par paragraphe » permet de passer aisément et de façon fluide d’un paragraphe en Français du Seizième siècle à notre version moderne, ou l’inverse.

Résumé

Le nom de Pantagruel vient d’un personnage des mystères et des représentations populaires, un petit diable marin qui jetait du sel dans la bouche des ivrognes et personnifiait la soif. En 1532, il y eut une sécheresse extraordinaire qui dura six mois, ce qui peut expliquer le choix de ce personnage. On retrouve dans le texte des passages montrant Pantagruel jetant du sel à ses ennemis. Une autre source d’inspiration pour Rabelais est les chroniques du Géant Gargantua, livre populaire vendu par les colporteurs. Pantagruel devint donc un géant, fils de Gargantua.

Le livre se décompose en plusieurs épisodes :

Rabelais commence par la généalogie de Pantagruel, dans la lignée des géants de l’histoire antique, de la bible et des récits populaires. Puis il raconte la naissance de Pantagruel dont la mère meurt en couche. Son nom est lié à la grande sécheresse qui sévit : « son père lui imposa ce nom, car panta en grec veut dire “tout”, et gruel en arabe veut dire “altéré” ».

Le Livre raconte ensuite l’enfance de Pantagruel, toute de démesure pour sa nourriture, ses vêtements et ses actions.

Puis viennent les études de Pantagruel. Son éducation commence à Poitiers. Après quoi il fait le tour de France des Universités : Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Avignon, Valence, Bourges, Orléans. Chaque Université est l’objet d’une critique satirique.

C’est à Orléans qu’il rencontre l’étudiant limousin qui parle le latin déformé des étudiants de la Sorbonne. Rabelais se moque ainsi de l’étudiant parisien qui « ne fait qu’écorcher le latin, et pense ainsi pindariser, et il doit bien penser qu’il est un grand orateur en français, parce qu’il dédaigne la façon normale de parler. ».

Enfin, Pantagruel arrive à Paris où il visite la librairie de Saint-Victor qui contient les livres qui servaient à l’instruction scolastique du Moyen Âge, instruction qui est mise en cause par les idées humanistes de la Renaissance. C’est une longue énumération de livres les uns réels les autres imaginaires avec pour chacun une intention comique.

À Paris, Pantagruel reçoit une lettre de son père décrivant les règles qui régissent une bonne vie et une bonne instruction au temps de la Renaissance. On est sorti du Moyen Âge où : « Le temps était encore dans les ténèbres, rappelant la brutalité et la calamité des Goths, qui avaient détruit toute la bonne littérature. ».

Puis Pantagruel découvre Panurge. C’est l’occasion d’un épisode burlesque, satire sur l’incommunicabilité du langage quand Panurge essaie toutes les langues pour s’exprimer.

L’épisode suivant est une satire de la justice. Pantagruel, ayant fait la preuve des grandes connaissances qu’il a acquises, est prié de statuer sur un différend entre Baisecul et Humevesnes qui occupe la justice depuis plusieurs années. On lui propose des charrettes de documents à étudier, mais lui veut simplement entendre les plaignants sans les avocats qui compliquent les procès.

Le livre décrit ensuite les facéties de Panurge à la mode des livres populaires : la façon rocambolesque par laquelle il a échappé aux Turcs ; comment il joue des mauvais tours à la maréchaussée ; comment il a toujours sur lui tout ce qu’il faut pour faire des farces aux passants ; comment il s’enrichit auprès de l’église en trichant sur la façon de payer les pardons ; le récit des mauvais procès qu’il a engagés pour des raisons fantaisistes.

Les chapitres suivants sont une critique des sophistes ; Panurge se moque d’un grand clerc anglais dans un combat de rhétorique fait uniquement par signes des mains.

Puis Panurge est aux prises avec une « grande dame » qui ne répond pas à ses avances ; pour se venger il lui joue un sale tour.

Pantagruel est rappelé par son père pour aller combattre les Dipsodes qui ont envahi leur territoire. Panurge trouve le moyen de tuer par ruse six cent soixante chevaliers. A son tour Pantagruel affronte les géants dans un combat épique.

Épistémon a la tête tranchée dans la bataille, mais Panurge sait la lui remettre et Épistémon raconte ce qu’il a vu dans l’au-delà où les diables sont de bons compagnons et où les damnés vivent dans un état à l’opposé de ce qu’ils étaient sur terre. On y rencontre les grands noms, mais aussi Pathelin, Le franc-archer de Bagnolet etc…

Suivent encore quelques mémorables aventures : l’auteur visite la bouche de Pantagruel (un des grands moments du livre, et un moment de génie de l’auteur), on soigne l’estomac de Pantagruel par l’envoi d’une expédition.

Le livre se termine par une dernière attaque de la vie monacale et des théologiens hypocrites qui calomnient les livres pantagruéliques.

L’éducation

Quand Pantagruel fait le tour des Universités, il semblerait que les étudiants soient plus occupés à s’amuser qu’à étudier: « Il se rendit à Bordeaux, où il ne trouva pas beaucoup d’activités, sinon des ouvriers du port jouant à la luette sur le sable. De là, il alla à Toulouse, où il apprit fort bien à danser et à jouer de l’épée à deux mains, comme c’est l’habitude des écoliers de cette université. »

Les étudiants font bien attention à ne pas trop étudier : « Et, quant à se rompre la tête à étudier, il ne le faisait guère, de peur que la vue lui baisse. ».

En présentant l’écolier limousin qui parle de façon incompréhensible, Rabelais préconise un langage simple : « qu’il nous convient de parler selon le langage courant, et, comme le disait César, qu’il faut éviter les mots archaïques avec un grand soin. ».

La Renaissance des lettres

Rabelais a pleinement conscience de la Renaissance des lettres après la période d’obscurantisme du Moyen Âge.

Du temps de Grandgousier, « le temps n’était pas approprié ni facile pour l’étude des lettres comme il l’est maintenant, et il n’y avait pas beaucoup de précepteurs comme ceux que tu as eus. ».

Alors que « Maintenant, toutes les disciplines ont été redécouvertes, les langues remises en vigueur : la langue grecque, sans laquelle c’est une honte qu’une personne se dise savante, les langues hébraïque, araméenne, latine. Les livres imprimés sont si élégants et faciles à utiliser, l’imprimerie a été inventée de mon temps par une inspiration divine. ».

La critique des théologiens et des sophistes

Rabelais fait à plusieurs reprises la satire des sophistes qui argumentent longuement sur des sujets sans intérêt.

C’est le cas avec Thaumaste qui vient d’Angleterre afin de « discuter avec toi de certains passages de philosophie, de magie, d’alchimie et d’occultisme, sur lesquels je doute, ce dont je ne peux pas contenter mon esprit. » Et cette argumentation, il veut la faire en public : « Je rédigerai mes interrogations par écrit et demain, j’en informerai tous les gens savants de la ville, afin que devant eux, publiquement, nous en argumentions. ». Et pour cela, il ne veut pas argumenter pro et contra à la manière des sophistes. « Mais je veux argumenter par signes seulement, sans parler, car les matières sont si ardues que les paroles humaines ne seraient pas suffisantes pour les expliquer à ma satisfaction. » Et Pantagruel approuve cette façon d’argumenter « car ce faisant toi et moi, nous nous entendrons, et nous éviterons ces claquements de mains que font les sophistes quand on argumente et qu’on trouve le bon argument. ».

La religion

Rabelais, sans avoir pour autant adhéré aux idées de Calvin et ayant même fait l’objet de critiques violentes de sa part, préconise, lui aussi, le retour à la foi originelle : « Je ferai prêcher ton saint Évangile, purement, simplement, et entièrement, si bien que les abus d’un tas de faux dévots et de faux prophètes, qui ont envenimé tout le monde par leurs créations humaines et leurs inventions dépravées, seront exterminés autour de moi. ».

Mais de là à faire le parallèle entre Calvin et Rabelais, ou prétendre que Rabelais est un protestant qui s’ignore, il y aurait une monumentale erreur d’appréciation.

La critique de la justice

Pour Rabelais, les jurisconsultes du Moyen Âge ont rajouté une complexité inutile à la simplicité du Droit romain : « il n’y a pas de livres si beaux, si documentés, si élégants que le sont les textes des Pandectes, mais les commentaires qu’on en a faits, c’est-à-dire la Glose d’Accurse, sont si répugnants, si infâmes et si infects, que ce ne sont qu’ordures et vilenies. ».

Comme pour la médecine et l’éducation, l’idéal pour Rabelais est de revenir au Droit grec et romain ; en cela, Rabelais est bien un humaniste de la Renaissance : « et toutes les lois sont pleines de phrases et de mots grecs, et ensuite, elles ont été rédigées dans le latin le plus élégant et décoré de toute la langue latine, et je citerais volontiers Salluste, Varron, Cicéron, Sénèque, Tite Live et Quintilien. ».

Il critique la justice qui fait durer les procès en s’intéressant aux termes juridiques, mais pas au fond : « Ils le prièrent de bien vouloir examiner avec soin et approfondir au mieux le procès et leur en faire le rapport qui bon lui semblerait en vrais termes juridiques, et ils lui remirent les sacs avec les papiers et les titres entre les mains. À quoi diable, dit-il, sert donc tout ce fatras de papiers et de copies que vous me remettez ? Ne serait-ce pas mieux d’entendre de vive voix leur débat que de lire ces inepties, qui ne sont que tromperies, subtilités diaboliques de Cepola et subversions du droit. ».

Rabelais et la médecine

Pour Rabelais, l’idéal dans l’étude de la médecine est de redécouvrir les textes anciens, mais il préconise aussi la découverte du corps par les dissections (encore un idéal de la Renaissance) : « Puis soigneusement, revois les livres des médecins grecs, arabes et latins, sans mépriser les talmudistes et cabalistes, et par de fréquentes dissections, acquiers la parfaite connaissance de cet autre monde, qui est l’homme. ».

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