Préface des Editions de Londres

« Ploutos » est une pièce d’Aristophane écrite et représentée en 388 avant Jésus-Christ, qui traite de l’inégale répartition des richesses entre les hommes et ses conséquences sociales. « Ploutos » vient quelques années après L’assemblée des femmes, autre pièce aux résonances morales et politiques. Officiellement, il pourrait s’agir de la dernière pièce d’Aristophane. Elle appartient à la comédie moyenne.

La comédie moyenne

La comédie ancienne jouait un rôle qui ressemble à la satire du Moyen-Âge, aux journaux satiriques ou aux pamphlets modernes. Le passage de la comédie ancienne à la comédie moyenne est lié au contexte politique. Si la comédie ancienne octroie un rôle important au chœur, elle se caractérise par des attaques virulentes à l’encontre de personnages politiques et littéraires proéminents, tels que Cléon, Euripide, Socrate…dans le cas d’Aristophane. La libel law anglaise et la controverse sur la satire religieuse ne sont pas encore d’actualité. Suite à la défaite contre Sparte, au retour de la tyrannie, puis de la Démocratie, puis à la victoire du parti aristocratique, le pouvoir en place pose des limites à la liberté de parole, ce qui pousse les auteurs comiques à abandonner la satire politique pour se tourner vers la satire de mœurs. En – 388, année de la représentation de « Ploutos », une nouvelle loi réduit encore la liberté du théâtre comique en prohibant les attaques contre les personnes. La mauvaise nouvelle, c’est que la liberté d’expression n’obéit pas à une règle historique linéaire : la liberté de critiquer, de moquer, de s’exprimer, n’est jamais acquise, et on a vu, et on verra des retours en arrière. La bonne nouvelle, c’est que le comique ou l’écrivain réussissent souvent à passer dans le chat de l’aiguille de la censure. La censure démultiplie la verve et la colère du comique.

La relation aux Dieux

Ce qui frappe chez Aristophane en général, et plus particulièrement dans « Ploutos », c’est la légèreté de ton utilisée à l’égard des Dieux. Les Dieux, franchement, ils sont là pour la galerie. Grâce à eux, Aristophane est libre de railler, de moquer, de brocarder. Les Dieux ont tous les défauts des humains, et permettent aux dits humains de trouver des coupables à leurs égarements plutôt que de prendre leur destin à pleines mains. Cet ordre spirituel est loin d’être parfait, mais il a l’avantage d’exister, et d’avoir d’existé depuis des siècles. En bon conservateur libertaire, Aristophane ne voit pas d’un bon œil les tentatives de Socrate visant à diminuer le sentiment de religiosité déjà fortement entamé par l’évolution des mœurs athéniennes. Comme nous le disions, comme tous les conservateurs libertaires, Aristophane est ambigu. Par le maintien de la vieille religion et la lutte contre le déclin moral, il ne cherche pas à arrêter le temps, mais plutôt à renverser une décadence qu’il considère déjà bien engagée, et qui se manifeste dans la mollesse morale, l’essor des démagogues (dont il voit en Socrate l’un des représentants), et la corruption généralisée des institutions, justice, démocratie…En Socrate il voit l’intellectuel qui cherche à passer le désordre du monde par la moulinette de son esprit. Derrière la méthode et l’organisation du discours, il devine les prémices du Dogme, et ceci lui donne des boutons.

La non-volonté de reconstruire le monde

On a beaucoup glosé sur l’intention d’Aristophane dans cette pièce. Ploutos commence par un constat : les richesses ne vont pas aux gens de bien. Les gens vertueux sont souvent ceux qui sont pauvres, et les vicieux sont riches. La mauvaise distribution des richesses plus que l’inégalité des richesses, c’est avant tout cela qu’Aristophane critique. La pièce est donc morale plus que révolutionnaire. Le travail devrait être justement rémunéré, les vertueux devraient être récompensés, quitte à gagner plus que les autres. Il est difficile de comprendre la notion moderne de Révolution si on ne se replace pas dans le contexte de la société grecque à l’époque d’Aristophane. Les Dieux servent avant tout à la normalisation du monde, une sorte de structure morale qui aide l’homme et la société à expliquer le monde sans trop y croire et surtout à distinguer un peu plus clairement entre le bien et le mal. Rien n’est éternel, il n’existe pas de monde idéal, ici-bas, ou après la mort. Vivons et protégeons nous du chaos. Or, Les Editions de Londres prétendent prudemment que cette distinction absolue entre le bien et le mal, qui nous donna le Bien et le Mal, elle naît avec le Platonisme et son successeur intellectuel le Christianisme institutionnalisé en Eglise Romaine. La Révolution telle que nous la voyons dans les théories de gauche européennes, ce serait donc un millénarisme religieux déguisé en projet politique et social. En comparaison, l’époque d’Aristophane est probablement itérative. Le progrès n’existe pas en tant que projet, et l’évolution positive des mœurs est le fruit du temps et de la prééminence des gens de bien. Et en cela, à l’instar de Jean Yanne, Aristophane n’est bien ni révolutionnaire, ni communiste, ni réactionnaire, et encore moins utopiste. Libertaire plus qu’anarchiste, certes (voire ses amitiés vis-à-vis du parti aristocratique), c’est avant tout un anti-dogmatique.

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