Préface des Éditions de Londres

« Pourquoi j’ai volé » ou « Pourquoi j’ai cambriolé » est un texte écrit par Marius Jacob et une adresse aux juges qui l’enverront au bagne suite à son procès en 1905 au tribunal d’Amiens.

Pourquoi nous publions « Pourquoi j’ai volé »

Naturellement, les raisons sont multiples. D’abord nous publions d’autres anarchistes : Kropotkine, Bakounine, Reclus. Puis nous trouvons intéssant de publier l’un des textes du personnage qui influença le héros qui influença tellement notre enfance, Arsène Lupin. Et enfin, parce que le texte est beau, court, authentique, bref toutes les valeurs littéraires que nous défendons.

Mais il y a d’autres raisons. Commençons par dire, que dans une tradition toute légaliste, nous n’aurions probablement pas publié ce texte si les Editions de Londres avaient existé il y a vingt ans. Les Editions de Londres sont une maison d’édition numérique et naïve ; nous donnons aux gens une chance, nous les écoutons, nous préjugeons toujours de leur bonne foi intellectuelle. Secundo, nous croyons aussi que ceux qui s’expriment et nous parlent le font de bonne foi, et que les mots reflètent leur pensée, et que leur pensée suit un processus cohérent d’évaluation des faits et des idées, lequel fonctionne d’une façon autonome.

Comme nous sommes naïfs, nous avons accordé pendant bien longtemps une certaine légitimité au système qui nous régit depuis une bonne trentaine d’années. Issu des idées du CNR, de celles de 68, et puis l’héritage des Lumières, et tout ça, on croyait en la bonne foi des gens qui nous gouvernent. Nous nous trompions. Pas sur tout, mais sur un certain nombre de points fondamentaux. Nous sommes très heureux de nous être trompés puisque au moins nous avons nos idées bien à nous ;en effet, encore aujourd’hui, nous aurions du mal à nous retrouver dans une mouvance politique, ou philosophique, si ce n’est le Libéralisme du Dix huitième siècle. Mais à défaut de lavage de cerveau idéologique, notre processus de pensée se fonde sur un certain nombre de principes bien solides, plus solides que les murs ou les plafonds dans lesquels Marius Jacob ou Arsène Lupin faisaient leurs petits trous. Ces principes s’appellent libre pensée, esprit critique, anti-dogmatisme, devoir d’insoumission, et plus prosaïquement appeler un chat un chat.

C’est pour ces raisons que de nos jours la publication de « Pourquoi j’ai volé » ne se justifie pas, elle s’impose. On appelle cela la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Depuis trente ans, on se fout de nous, on nous espionne, on nous vole, on nous pille, mais depuis trois ans, alors là on nous prend vraiment pour des simples d’esprit. Le triple vol dont nous sommes les victimes se décline ainsi : 1) les Banques qui s’en mettent plein le fouilles, puis veulent ensuite faire payer les contribuables quand leur larcin tourne cours, sans pour autant cesser de les violer et de se payer grassement en bonus sonnants et trébuchants, 2) l’Etat qui nous vole et empile une dette de nature à tous nous mettre dans la rue en hiver à jouer de la mandoline avec un singe savant qui joue du biniou, histoire de se tenir chaud, et 3) les politiques, les chefs d’entreprise, leurs petits lieutenants préférés, qui ont inventé ce système unique/inique où écoles d’élite, entreprises d’élite, allocations familiales et même vacances à tire-larigo, tout cela est payé par le contribuable ; après on s’étonne que, depuis une quinzaine d’années, les gens soient en état pré-révolutionnaire dans notre beau pays.

Alors, dans ce contexte, l’honnête, c’est Jacob ; les malhonnêtes, ce sont ceux qui volent et échappent au couperet de la justice, ceux qui ont fait des milliards en vendant leur poudre de perlimpinpin à des pauvres imbéciles, et maintenant s’attaquent à ceux qui ont une baraque à frites quand la fumée gêne leurs nasaux délicats (décidément, Lindsay Owen-Jones vieillit mal, ce sont ceux qui rebondissent à chaque fois…Tous ces gens là, le monde injuste qu’ils nous imposent, cela m’évoque irrésistiblement mon grand ami Beaumarchais face au Chevalier de la Blache, et les cinq ans de censure qui précèdent la représentation de Figaro.

Voilà pourquoi nous le publions.

Un manifeste de la révolte individuelle

C’est toujours délicat de commenter un texte court, surtout quand ce texte explose dans les mains ou sur la liseuse comme un feu d’artifice dans le ciel noir de la morale obligatoire d’une société en perte de vitesse et qui ne tient pas plus que par la propagande télévisée et l’abêtissement des masses.

D’ailleurs, si ce texte vous a plu, nous vous conseillons de regarder les publications de l’Insomniaque, qui a eu un rôle clé dans la résurgence de Marius Jacob. Chapeau bas, L’Insomniaque ! Quelques titres : "Ecrits", "Travailleurs de la nuit", "A bas les prisons, toutes les prisons" et "Extermination à la française". Eux aussi, ce sont des Travailleurs de la nuit, si ce n’est qu’en lieu de biens matériels, ils dérobent des mots et des idées bien rangés et les livrent au public.

Le texte de Marius Jacob possède plusieurs moments forts. Nous en avons choisi quatre.

D’abord sa vision de la société, vraie à l’époque d’où il nous parle, probablement aussi vraie mais moins perceptible pendant les Trente Glorieuses, de nouveau aussi vraie depuis une quinzaine d’années : « Plus un homme travaille, moins il gagne ; moins il produit, plus il bénéficie. Le mérite n’est donc pas considéré. Les audacieux seuls s’emparent du pouvoir et s’empressent de légaliser leurs rapines. Du haut en bas de l’échelle sociale tout n’est que friponnerie d’une part et idiotie de l’autre. »

Ensuite les conséquences : « Un tel état de choses ne peut que produire l’antagonisme entre les classes laborieuses et la classe possédante, c’est-à-dire fainéante. La lutte surgit et la haine porte ses coups. »

Puis une justification : « Si je me suis livré au vol, ça n’a pas été une question de principe, de droit. J’ai préféré conserver ma liberté, mon indépendance, ma dignité d’homme, que me faire l’artisan de la fortune d’un maître. »

Puis une solution : « Pour détruire un effet, il faut au préalable en détruire la cause. S’il y a vol, ce n’est que parce qu’il y a abondance d’une part et disette de l’autre ; que parce que tout n’appartient qu’à quelques uns. »

Perspective sur « Pourquoi j’ai volé » en 2012

Ce que les trois dernières années nous ont enseigné, c’est que le progrès social intervient par sauts, et que parfois il faut reculer pour en faire de plus gros, des sauts, et que le système est en train de dérailler. Comme nous le savons, le modèle économique occidental fonctionne fondamentalement sur deux piliers : la consommation de biens matériels en excès comme substitution au bonheur, et la manufacture de la peur quand les gens n’ont plus un sou.

Mais que les Gouvernements en place extradent des suspects pour un oui ou pour un non vers les Etats-Unis (Royaume-Uni), ne cillent pas quand les patrons des banques nationalisées empochent de gros bonus dans une période de récession terrible (Royaume-Uni), cherchent à protéger les intérêts privés contre l’intérêt public (SOPA aux Etats-Unis, ACTA en Europe), ou tout simplement laissent perdurer un système inique (éducation dans des écoles et des quartiers en perdition, stages par copinage, jobs obtenus par prostitution affective, loi qui sanctionne tout cela, cautions parentales des parents sexagénaires pour pouvoir se loger…), ça, c’est ahurissant.

Il ne fait donc aucun doute que les choses empirent. En France, au Royaume Uni, aux Etats-Unis, des sociétés de classes fondées sur des inégalités monumentales sont en train de se reconstituer devant nos yeux. Depuis que le garde-fou idéologique de l’URSS a sauté, l’Occident s’en donne à cœur joie ; tout est devenu permis avec des populations abruties, conditionnées, par la propagande étatique la mieux faite, la plus subtile que l’histoire ait connu, parce que comme nous le disons souvent, nous vivons dans un état de dictature consentie.

C’est bien pour cela que « Pourquoi j’ai volé » devrait être étudié dans les écoles.

© 2012- Les Editions de Londres