Préface des Editions de Londres

« Timée » est un dialogue de Platon sur la création du monde écrit vers 358 avant Jésus Christ. C’est aussi, avec le Critias, l’autre dialogue de Platon qui traite du mythe de l’Atlantide.

L’Atlantide dans le Timée

Bien qu’il mette en scène Socrate, Critias, Hermocrate et Timée, le « Timée » est finalement un long, très long monologue de Timée. C’est très rapidement que le mythe de l’Atlantide est abordé, par le biais d’un autre long monologue, cette fois-ci, de Critias, avant d’être repris beaucoup plus longuement dans le Critias.

Que dit Platon ? Selon Critias, d’anciens Egyptiens auraient raconté à Solon le mythe de la naissance d’Athènes. Les Athéniens ont ainsi oublié leur passé glorieux, construit sur un mythe fondateur : leur victoire sur les Atlantes. « Tout d’abord vous ne vous souvenez que d’un seul déluge terrestre, alors qu’il y en eut beaucoup auparavant…. », disent les Egyptiens. « Oui Solon, il fut un temps où, avant la plus grande des destructions opérées par les eaux, la cité qui est aujourd’hui Athènes fut la plus vaillante à la guerre et sans comparaison la mieux policée à tous égards… ».

Puis les Egyptiens expliquent qu’Athènes est bien plus ancienne qu’on ne le croit : ils font remonter la civilisation égyptienne à huit mille années (à l’époque de Solon !) et prétendent qu’Athènes est de mille ans antérieure… « C’est donc de tes concitoyens d’il y a neuf mille ans que je vais t’exposer brièvement les institutions et le plus glorieux de leurs exploits. » Puis ils décrivent un système politique de l’antiquité « pré-classique » et assez « indo-européen », fondé sur la division de la société par castes entre prêtres, guerriers, chasseurs, laboureurs…

C’est après que cela devient intéressant : « les monuments écrits disent que votre cité détruisit une immense puissance qui marchait insolemment sur l’Europe et l’Asie tout entières, venant d’un autre monde situé dans l’océan Atlantique. » ; « cette île était plus grande que la Libye et l’Asie réunies ». Alors, Athènes « vainquit les envahisseurs », mais « Mais dans le temps qui suivit, il y eut des tremblements de terre et des inondations extraordinaires… ». D’où la conclusion, bien vague malheureusement pour ceux qui veulent utiliser le texte de Platon pour retrouver l’Atlantide: « Voilà pourquoi aujourd’hui encore, cette mer-là est impraticable et inexplorable, la navigation étant gênée par les bas-fonds vaseux que l’île a formés en s’affaissant. »

Nous n’allons pas revenir sur les discussions sur le mythe puisque nous l’avons déjà fait dans Critias ; mais pourtant, nous ne comprenons pas bien certains débats historico-littéraires. A croire que dans notre monde surspécialisé, les littérateurs ne comprennent rien à l’histoire, et les historiens rien à la littérature. Rien d’étonnant à ce que disparaissent les libres-penseurs. Car comme l’a bien compris Corto Maltese, le débat « mythe ou réalité historique » est absurde. Nous connaissons très peu de mythes qui sortent de l’imagination immaculée d’un seul homme. Nous connaissons peu de réalités historiques qui n’aient pas été mythifiées. Bien sûr, il ne faut pas prendre Platon au pied de la lettre. En revanche, prétendre que tout ceci est une pure invention est également naïf. Il ne fait aucun doute à nos yeux que le mythe de l’Atlantide se rattache à quelque chose de réel, de bien précis, de palpable, d’humain, mais les ratés de la transmission depuis des siècles nous empêchent de comprendre quoi. Ce que le mythe de l’Atlandide nous montre, pour paraphraser les Egyptiens, c’est qu’il y a probablement eu plus d’un déluge légendaire. Il y a le déluge de la Bible, que l’on retrouve dans le Gilgamesh, et dans bien d’autres textes sacrés et anciens, mais avec l’Atlantide on a la confluence du déluge et du mythe de la cité engloutie, encore plus courant dans le Nord de l’Europe que dans les civilisations méditerranéennes, croyons nous. Au final, les Atlantes (Phéniciens, Minoens, ou peuples de la mer de l’Ancienne Egypte…) continueront de nous faire rêver pendant encore bien longtemps…

La genèse du monde

Ils ne sont pas courants, les livres qui expliquent la Genèse du Monde. Il y a la Genèse, évidemment, mais il y a, moins lu et moins connu, mais certainement pas moins influent, le « Timée ». Reprenons brièvement les points essentiels :

Dieu : Platon y parle beaucoup plus de Dieu que des Dieux.

Genèse : Dieu est créateur et crée à son image, mais avant tout Dieu fait passer du désordre à l’ordre ; ainsi, la création est avant tout un ordonnancement ? Dieu construit un Tout, « unique, parfait et éternel ».

Terre : la Terre a la forme d’une sphère parce qu’elle est parfaite. De nombreux siècles avant Galilée…

Temps : « le temps est né avec le ciel, afin que, nés ensemble, ils soient aussi dissous ensemble » ; « Car le modèle est existant durant toute l’éternité, tandis que le ciel a été, est et sera continuellement pendant toute la durée du temps. »

Les astres : « Dieu fit naître le soleil, la lune et les cinq autres astres qu’on appelle planètes, pour distinguer et conserver les nombres du temps. »

Création de l’homme : « voyons pour quels motifs et en vertu de quelle prévoyance les dieux ont donné naissance à l’âme, en nous tenant aux opinions les plus vraisemblables ; car c’est ainsi et suivant ce principe que doit marcher notre exposition. » ; voir ici le fonctionnement quasi-scientifique de la démonstration dans le « Timée », ce qui fait que l’exposé d’un mythe cosmogonique devient sous la « plume » de Platon la première tentative d’explication scientifique

Multiplicité des mondes ? Nous voyons ici un nouvel exemple de l’approche tout à fait novatrice de Platon, incontournable encore à notre époque, quoiqu’en disent Les Editions de Londres lorsqu’elles s’en prennent à son dogmatisme. « on pourrait justement se demander s’il faut affirmer qu’il y a des mondes en nombre infini ou en nombre limité….Quant à nous, nous déclarons que, selon toute vraisemblance, il n’y  qu’un seul monde, bien qu’on puisse, d’après d’autres considérations, être d’un autre avis. »

Cyclique : le circuit de l’Univers est « circulaire et tend à revenir sur lui-même ».

Au final, le « Timée » traite de tout : religion, physique, biologie, mathématiques… C’est apparemment le plus ancien ouvrage de cosmogonie à prétentions scientifiques. De plus, dans un texte complexe, où s’imbriquent des considérations mêlant toutes les sciences, couvrant l’univers, l’homme, les astres et le temps, ainsi que les liens entre la chose créée et son créateur, Platon oscille parfois entre des passages évoquant Hésiode et des phrases qui annonceraient presque le matérialisme de Diderot dans Le Rêve de D’Alembert.

Alors, peut-on parler de contradictions de Platon : vivant au Quatrième siècle avant Jésus-Christ, et professant une forme de monothéisme ? Prétendant que le monde des Idées (mythe de la Caverne) est la réalité, et que par conséquent le monde sensible, sujet au changement perpétuel, diffère de la réalité, immuable ? Et pourtant, décrivant par exemple les humeurs de l’âme avec une logique presque mécaniste bien avant le Dix Huitième siècle… ? Nous allons essayer de résoudre ces apparentes contradictions. Et pour cela nous allons élaborer une théorie audacieuse.

Le monothéisme de Platon

Dans l’histoire, il y a toujours un moment dans une civilisation où la religion dominante, fondatrice de la culture de cette société, est en déclin. Et quand ce déclin commence, les élites, intellectuelles, artistiques, ou politiques, cette religion, elles n’y croient plus vraiment. Alors, elles ne le disent pas trop fort, mais c’est tout comme…Il en est ainsi de Platon. Pour Les Editions de Londres, la pensée de Platon préfigure un certain monothéisme.

Nous maintenons depuis le début que l’Eglise Catholique et Romaine n’a rien à voir avec ce dont elle se réclame, à savoir la parole du Christ, ou plutôt ce que nous connaissons de la parole du Christ, l’esprit du christianisme. L’Eglise Catholique, née au cours des premiers siècles qui suivirent la mort du Christ est la reprise en main d’une parole subversive, voire anarchisante, par les pouvoirs en place. Le Catholicisme est donc la domestication d’une parole anti-establishment, progressiste, voire rebelle, par un système structuré et en déclin. Mais la combinaison d’une parole fraîche et magnétisante pour les classes sociales basses et opprimées et d’une structure juridico-administrative élaborée n’est pas suffisante pour comprendre la genèse de l’Eglise Romaine. Il fallait ajouter la pensée de Platon.

Platon traite le polythéisme comme un héritage culturel bien plus qu’une foi. La distinction platonicienne du monde des Idées et du monde sensible nous semble assez incompatible avec une structure poétique et lyrique de la cosmogonie comme celle qu’offrent les mythes grecs traitant entre autres du panthéon olympien. Platon ne peut être que monothéiste ; sa vision des Idées originelles, son esthétique, renvoient à un Créateur, un ordonnateur du monde chaotique vers une harmonie universelle, dont les manifestations sensibles, que l’on appréhende par les mathématiques, les sciences, la musique… ramènent à une dimension qui dépasse le monde perceptible et renvoie à l’idée d’un Etre Suprême, un Tout, logique, beau, et éternel.

On doit aussi relever l’influence de Platon sur les gnostiques alexandrins d’ailleurs évoqués par Emmanuel Carrère dans sa fameuse préface sur Philip K. Dick. Le gnosticisme, parfois vu comme réappropriation et conceptualisation du christianisme par le monde grec, ou tentative de syncrétisme, ou encore retour aux origines orientales, juives, mystiques de la foi chrétienne ? Nous ne trancherons pas ici. Les gnostiques croyaient fondamentalement que la réalité que nous avons devant les yeux n’est pas la réalité. Il est vrai que la distinction monde sensible et monde réel, c’est bien Platon qui l’a inventée. Pourquoi parler du gnosticisme ? Parce que ce sont les gnostiques qui font survivre les idées de Platon (et parfois les dépassent) jusque dans notre morale occidentale, principalement chrétienne (mais « chrétienne » au sens de l’église chrétienne, et non pas au sens de la parole du Christ, message bien plus subversif…), et ce sont les gnostiques alexandrins (les gnostiques sethiens ?) qui fusionnent la pensée platonicienne et la pensée judaïque, dont le christianisme des Evangiles non canoniques (ou apocryphes) est une des manifestations « rebelles ». Alors, Platon, qu’il soit monothéiste ou non, par le travail d’intégration de l’église catholique puis protestante, est bien l’une des pierres fondatrices de notre morale occidentale.

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