Préface 
Écrire - une affaire très américaine

La richesse et la puissance de la littérature américaine font pâlir d’envie, n’en déplaise à nos sociétés savantes d’Europe, et de France en particulier, qui affichent traditionnellement un mépris de bon aloi à l’égard de ces vilains storytellers (raconteurs d’histoire) d’Outre-Atlantique. Son histoire est brève, cela va de soi, mais déjà jalonnée de grandes dates, de grandes œuvres, de grandes écoles, de grands auteurs, à un rythme rarement atteint, toutes nations confondues. Le gigantisme – des territoires, des cités – les défis de l’Histoire intérieure et extérieure, le fameux « Melting Pot » d’immigrations constantes, sont –probablement – des ingrédients importants de ce foisonnement littéraire. Mais pas que. De Benjamin Franklin à Gary Shteyngart, de Washington Irving à Philip Roth, on voit se tisser quelque chose en littérature qui ressemble à une cohérence, par les thèmes récurrents, mais aussi par une écriture sans pareille, qui mêle étroitement le « storytelling » - cœur de l’Amérique littéraire – et une réflexion métaphysique sur la condition des hommes, Dieu, La Nature, la Conquête, la Mort.

Bien sûr les écarts sont immenses au sein même de l’Amérique des Lettres. Entre les écrivains « anglais » d’Amérique (Nathaniel Hawthorne ou Henry James par exemple) et les « Russes » (Nabokov ou Bukowski entre autres), les univers diffèrent totalement. Mais les convergences sont assez puissantes pour réunir toutes ces origines en un flot unique qui rassemble ces littératures en une grande littérature, avec ses syntagmes, ses cadres, ses personnages récurrents.

Le panthéisme américain est partout – le bien nommé – dans les églises bien sûr, mais dans les rivières, les montagnes, les arbres, les gratte-ciel, les océans. Le rapport obsessionnel au sacré anime tous les auteurs américains. Sans exception. Même s’il s’agit, pour certains, d’en rire ou de le dénoncer, le sacré est le feu qui brûle dans l’âme littéraire américaine. Les villages fermés de Washington Irving résonnent de ce chant liturgique. Les rues de Newark frémissent de cette prière chez Roth ou Auster. Les rivières du Montana entonnent ces hymnes chez Harrison ou Bass. Les neiges et les combats de Jack London grondent de la prière au monde. Les pères et les fils de John Steinbeck s’aiment et s’affrontent en des combats de Titans antiques.

La cohérence de l’histoire littéraire américaine est fascinante. Dès les premiers âges, disons le XVIIème siècle, se dessinent les grands thèmes qui vont la structurer. A commencer – comment imaginer autre chose – celui de la conquête des territoires et, par conséquence directe, la mythification de la terre. Franklin, Irving, et le grand David Henry Thoreau sont parmi les pères de cet élan qui va porter des œuvres entières pendant les siècles à venir, jusqu’à nos jours et jusqu’à l’école du Montana par exemple et ses chants de la terre.

Et puis la Ville – nouvel espace des hommes – la ville tentaculaire, vertigineuse, complexe, joyeuse, sombre. La Ville vitale, létale, celle des rencontres et des infinies solitudes. New York est déjà le lieu de « la Légende de Sleepy Hollow », avant d’être celui du roman noir, ou des quartiers de Paul Auster.

Enfin la famille, cœur battant de l’Amérique des pionniers à celle des quartiers. Le mythe familial, avec ses cohortes de passions et de drames.

D’hier ou d’aujourd’hui, la littérature américaine déroule ses horizons, et nous propose sa vitalité incroyable.

Dans ce volume, toutes les époques et tous les auteurs seront convoqués à travers des œuvres anciennes ou récentes. Essentiellement récentes. Sous la plume des rédacteurs et rédactrices de la Cause Littéraire, se recompose un paysage actuel de la littérature américaine autour de trois de ses thèmes majeurs : Nous avons donc rassemblé ici – pour ce premier itinéraire américain – « Territoires », « Ville » et « Famille ».

Nous n’avons pas d’autre ambition que de donner envie, à travers nos articles et chroniques rassemblés dans ce volume, d’aller découvrir encore et encore les trésors inépuisables d’une création littéraire vivante, qui nous offre chaque année de nouveaux auteurs, qui nourrit de son génie le genre romanesque, la nouvelle, la poésie. Nous aimons cette Amérique-là, nous aimons cette usine à rêves.

En route pour la découverte !

Léon-Marc Levy

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