PROLOGUE

Personnages  du  Prologue

GUIGNOL, LE DIRECTEUR

Scène 1

GUIGNOL.

C’est beau, ici. Il y a plus de monde dans cette salle que dans toute Ia ville de Lyon. Je suis assurément aux 4-z’Arts.

Il frappe.

Scène 2

GUIGNOL, LE DIRECTEUR

GUIGNOL.

Bonjour, Monsieur l’Art !

LE DIRECTEUR.

Comment, Monsieur l’Art ! Qui êtes-vous pour parler de Ia sorte ?

GUIGNOL.

Tiens, vous n’êtes pas l’un des 4-z’Arts ! Y en aurait-il un cinquième ?

LE DIRECTEUR.

Le cinquième, c’est moi, ou plutôt je les dirige, je dirige  l’établissement du même nom, je suis M. Trombert.

GUIGNOL.

Et moi, Guignol. Enchanté de faire votre connaissance.

LE DIRECTEUR.

Ravi de vous recevoir chez moi.

GUIGNOL.

Encore plus charmé de recevoir, d’accepter, veux-je dire, les deux cent cinquante mille francs que vous m’avez promis pour mes frais de voyage de Lyon et de séjour à Paris.

LE DIRECTEUR.

Deux cent cinquante mille francs ! Je vous ai promis deux cent cinquante mille francs ?

GUIGNOL.

A moi, Guignol.

LE DIRECTEUR.

Je veux bien en convenir, mais qui me dit que vous êtes Guignol ? Avez-vous des papiers, des pièces d’identité ?

GUIGNOL.

Mes papiers, les voici, en pâte de bois.

II lui présente un bâton.

LE DIRECTEUR.

reculant.

Monsieur Guignol, qu’allez-vous faire ?

GUIGNOL.

Prenez cet éventail, cognez-moi sur la tête. N’ayez pas peur, c’est solide. Vous verrez si ça sonne le bois.

LE DIRECTEUR.

D’abord ça vous ferait mal, et puis je n’ai pas acheté un seul guignol en bois, mais tout l’assortiment des pantins lyonnais. Vous allez retrouver ici vos amis Gnafron et Cie.

GUIGNOL.

Dans ce cas c’est donc moi qui vérifierai si vous êtes bien M. Trombert. (Levant son bâton.) Vous êtes bien M. Trombert ?

LE DIRECTEUR.

Si c’est à M. Trombert que vous désirez parler avec votre langue de bois, ce n’est pas moi.

GUIGNOL.

Ah ! nous allons voir ! (premier coup de bâton.) Vous n’êtes toujours pas M. Trombert ?

LE DIRECTEUR.

Aïe ! Aïe ! Je suis M. Trombert, tous les Trombert que vous voudrez.

GUIGNOL.

Je n’en suis pas si sûr que vous, je n’ai pas fini de vous présenter à moi-même. Vous êtes bien le M. Trombert qui m’a promis deux cent cinquante mille francs ?

LE DIRECTEUR.

Qui vous a... Jamais de la vie.

GUIGNOL.

Rappelez vos souvenirs.

Coups de bâton.

LE DIRECTEUR.

Aïe ! Aïe ! c’est vrai, j’avais perdu conscience de moi-même. Voici vos deux cent cinquante mille francs.

II lui donne trois gros sacs.

GUIGNOL.

Voulez-vous un reçu ?

LE DIRECTEUR.

Merci, je n’accepterai plus rien. Dites-moi, M. Guignol, je voudrais vous parler.

GUIGNOL.

J’écoute.

LE DIRECTEUR.

Parler, j’entends, sans témoins. Congédiez cet indiscret manche à balai.

GUIGNOL.

C’est mon ami, mon frère, un autre Guignol : nous sommes faits du même bois ; mais avec vous et du moment que nous avons échangé nos noms et qualités de toutes espèces, j’y consens.

LE DIRECTEUR.

Monsieur Guignol, vous vous êtes présenté à moi, mais il faudrait que je vous présentasse aux personnes.

GUIGNOL.

Présentes. Présentassez-moi aux personnes présentes. Mais je n’ai plus mon interprète à emmancher les balais.

LE DIRECTEUR.

Ces personnes sont trop considérables pour que vous puissiez vous permettre avec elles un tel genre d’entretien. Mais informez-moi de votre généalogie et de toutes vos qualités, je vais faire au public votre biographie et votre généalogie.

GUIGNOL.

Pardon, M. Trombert, ce sont là des secrets de famille. Je ne les révélerai point si je ne suis sûr qu’il y ait ici trois ou quatre honnêtes gens ou tout au moins trois ou quatre personnes, comme vous dites, considérables.

LE DIRECTEUR.

Qu’à cela ne tienne !

Il nomme un certain nombre de spectateurs, en affectant de confondre les physionomies connues les plus opposées.

GUIGNOL.

Ces notoriétés me décident. Interrogez.

LE DIRECTEUR.

Vous êtes donc bien M. Guignol, et vous êtes venu de Lyon, M. Guignol, pour toucher deux cent cinquante mille francs.

GUIGNOL.

Ne parlons pas de cette petite chose. Je ne reproche jamais les services que j’ai rendus.

LE DIRECTEUR.

Alors, vous me rendrez d’abord les sacs vides. Et pour avoir l’honneur d’être présenté au Tout-Paris réuni pour cette solennité dans le hall des 4-z’Arts. Et qui était votre père, Monsieur Guignol ?

GUIGNOL.

Papa ? Guignol !

LE DIRECTEUR.

Ah ! au fait, c’est juste. Et monsieur votre grand-père ?

GUIGNOL.

Grand-papa ? Guignol !

LE DIRECTEUR.

Encore !  c’est assez bizarre ! Et monsieur votre... enfin, un ancêtre bien vieux ?

GUIGNOL.

Un ancêtre bien vieux ? L’Homme à la Tête de Bois !

LE DIRECTEUR.

reculant, se heurte à un portant.

Aïe ! je me suis fait mal. Il a existé un homme à la tête de bois !

GUIGNOL.

Parfaitement.  Les êtres humains n’ont, dans certains cas, que quelquefois la... partie antérieure de la figure, la... bouche ainsi, et vous vous êtes fait mal au derrière de la tête parce que vous n’êtes pas assez intelligent pour avoir la tête toute en bois, mais en mon instructive société, cela viendra.

Il chante :

Au temps des anciens dieux, avant l’âge de fer,
Les têtes,
Avant l’âge d’or, de chair et de corne,
Les têtes se faisaient en bois.
Dans ces boîtes de bois l’on gardait la sagesse,
Et les sept sages, les sept sages de la Grèce
Etaient sept hommes à la tête de bois,
Sept hommes
Issus des chênes millénaires
Qui rendaient des oracles aux forêts de Dodone.
Les racines de ces vieux arbres
Fouillaient vers le centre de Ia terre
Comme des doigts palpent des trésors,
Par I’espace infini et par la nuit des temps
Rampant vers le savoir, embrassant l’Univers.
Au Paradis l’arbre de la science
Et le pommier étaient en bois,
Et le subtil serpent qui tenta Eve
Etait, était, osons le dire, en bois.
Hélas ! Le monde s’use, hélas !  tout dégénère ;
Nous, derniers héritiers des sages et des dieux,

Parlé.

et des hommes à la tête de bois,

Chanté.

Nous, les petits pantins,
Nous sommes nains,
Nous sommes gueux.
Pour hausser vers le peuple nos têtes sur la scène,
Ependant la science, il faut qu’à nos fantômes
Le souffle animé passe entre des doigts de chair.

LE DIRECTEUR.

Parlé.

Mais il a existé quelques hommes dont le nom indique qu’ils furent descendants, comme vous, de l’illustre race des hommes-à la tête de bois : par exemple... le sergent Bobillot.

GUIGNOL.

Aussi on lui a élevé une statue.

LE DIRECTEUR.

Et il y a tant de gens qui s’appellent Dubois !

GUIGNOL.

Là, mon cher ami, vous confondez.

Chanté.

II existe deux sortes d’hommes en bois,
Les têtes précieusement travaillées,
Réceptacles de doctrines admirables,
Et les brutes, j’entends non façonnées,
Eh !  si, les brutes et les bûches.

LE DIRECTEUR.

Devient-on sage ?...

GUIGNOL.

Dites, mon ami : homme à la tête de bois.

LE DIRECTEUR.

Devient-on homme à la tête de bois ou bûche quand on a Ia... bouche de bois ?

GUIGNOL.

Chanté.

Le vin est la vérité, une solution de vérité,
Empruntée au bois des tonneaux de bois,
Plein de vin, vous devenez semblable à un tonneau tout en bois,
Les pantins et les guignols
Sont de perpétuels ivrognes.

LE DIRECTEUR.

Parlé.

Et ils sont en bois pour ne pas se casser en tombant. C’est, en effet, avantageux. (II reste rêveur.) Mais vous ne buvez pas, alors, puisque vos maxillaires sont déjà en bois ?

GUIGNOL.

Si fait, pour les avoir encore davantage ainsi et parvenir à la science infuse.

LE DIRECTEUR.

Arthur, deux...

GUIGNOL.

Pernods ?

LE DIRECTEUR.

Non, Premier, comme Napoléon.

GUIGNOL.

A votre santé, futur grand homme de bois. Vous deviendrez sage en buvant. (Musique de ballet.)  Eh ! où courez-vous donc, plus vite qu’un cheval de bois ?

Chanté.

Des petit’s femm’s, voici des p’tit’s femmes !
On n’est pas de bois !

GUIGNOL.

Parlé.

Vous voulez dire ?...

LE DIRECTEUR.

FIN DE L’EXTRAIT

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