Préface des Editions de Londres

Rimbaud écrit Une saison en enfer en 1873 quand il n’a que dix-neuf ans. Avec les Illuminations, c’est certainement son oeuvre en prose la plus connue. Henry Miller y voit l’une de ses œuvres poétiques préférées. Il le traduira en anglais, puis il écrira un essai sur Rimbaud, « Le temps des assassins » : « Rimbaud ramena la littérature à la vie ; je me suis efforcé de remettre la vie dans la littérature. » Miller est fasciné par les étranges prémonitions de Rimbaud et sa modernité, car pour lui « Une saison en enfer » est un coup d’œil jeté dans l’entrebâillement du futur : « Nous allons tous, hommes, femmes, enfants, tributaires de cette civilisation, avoir notre saison en enfer…A l’époque de Rimbaud, on pouvait toujours quitter Aden pour Harrar, mais dans un demi-siècle, la planète elle-même ne sera plus qu’un immense cratère…La découverte de l’énergie atomique est allée de pair avec l’impossibilité dans laquelle nous sommes d’avoir confiance les uns dans les autres. Cette hydre, la peur, qu’aucune bombe ne peut détruire, voilà notre fatalité. »

Une saison en enfer ne doit pas être commentée ; le texte doit simplement être lu, puis relu, puis gardé de par devers soi. Tout le temps, ce que paradoxalement permet la technologie envahissante que Rimbaud aurait certainement décrié. Gardez-le dans votre bibliothèque iBooks, sur votre iPhone, et lisez-le régulièrement, avidement, courageusement et vivez. Car Une saison en enfer est un cri de révolte. La révolte du jeune homme trop mûr, trop voyant, trop visionnaire. Cri de révolte contre tout : la société, les clercs, les ronds-de-cuir, l’église…Dans ces quelques pages, Rimbaud passe tout en revue de façon allusive, et rapide ; c’est un film de ses observations passé en vitesse accélérée et de façon chaotique. Au passage, il invente par sa composition apparemment déstructurée, ce mélange de prose et de vers éparpillés, la poésie moderne.

« Car je puis dire que la victoire m’est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s’effacent. Mes derniers regrets détalent, - des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes.- Damnés, si je me vengeais ! Il faut être absolument moderne. »

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