Préface des Editions de Londres

« Vidocq » est un roman d’aventures historique d’Arthur Bernède paru en 1923. C’est un des plus célèbres des deux cent livres que produisit le romancier populaire, l’auteur de Belphégor et de Judex. « Vidocq » raconte la vie, les aventures, les amours d’Eugène-François Vidocq, le célèbre chef de la Sûreté, dont l’existence haute en couleur, et les exploits, vrais ou édulcorés, furent l’inspiration d’un nombre incalculable d’auteurs et de personnages des premiers romans policiers.

Le roman policier commence t-il avec Vidocq ?

Vidocq publie ses mémoires en 1828. Vautrin apparaît dans Le Père Goriot dés 1834, puis prend sa vraie dimension romanesque dans « La dernière incarnation de Vautrin », quatrième partie de Splendeurs et misères des courtisanes en 1838. De l’autre côté de l’Atlantique, c’est le Chevalier Dupin qui prend vie dans Double assassinat dans la rue Morgue d’Edgar Alan Poe, où est faite une claire référence à Vidocq. Rodolphe de Gerolstein naît dans Les Mystères de Paris d’Eugène Sue en 1842. Le policier Jackal apparaît dans Les Mohicans de Paris d’Alexandre Dumas dés 1854. Jean Valjean naît avec Les Misérables en 1862. Mais le Chevalier Dupin inspire évidemment Sherlock Holmes, et l’œuvre policière de Poe inspire Emile Gaboriau, Maurice Leblanc… La liste continue. On peut considérer, et en tous cas, c’est ce que nous faisons, Vidocq, comme le point de démarrage de la littérature policière, même s’il en fut l’inspirateur, et non pas l’auteur. Sa biographie est donc indispensable à toute personne s’intéressant à la genèse du roman policier.

Les origines du roman de Bernède

D’après les recherches d’Annie Besnier, « Vidocq », le roman de Bernède serait à l’origine conçu comme un ciné-roman, à l’instar de nombre de ses réalisations littéraires (lire notre biographie d’Arthur Bernède). Ce serait donc un ciné-roman en dix épisodes réalisé par Jean Kemm en 1923. Bernède y travaille dès Avril 1922. Quoique l’auteur explique au début du livre qu’il s’est livré à des recherches fouillées, franchement, il prend un certain nombre de libertés avec la vie de Vidocq. A un moment, Bernède s’est probablement pris de sympathie pour le voleur-forçat-policier-réformateur et il a réinventé sa vie.

Résumé du livre de Bernède

Eugène-François Vidocq est un fils de boulanger né à Arras le 24 Juillet 1775. Tout commence dans le livre pendant la Révolution ; on découvre Vidocq, seul et affamé, qui sauve la vie à deux enfants. Pour le remercier, la mère des deux petits lui propose de l’héberger. Quand les gendarmes se présentent à leur ferme, elle et son mari cachent Vidocq, et les lancent sur une fausse piste. Vidocq mange, se repose puis il repart. Le fil conducteur de l’histoire, c’est le drame familial de Vidocq : jeune, il se marie avec une belle jeune femme qu’il adore, Annette ou Manon la blonde, dont il a deux garçons. Mais un jour, elle s’enfuit avec un homme, en emportant ses deux enfants avec elle.  A partir de là, tout s’effondre. Lieutenant promis à un bel avenir dans l’armée Révolutionnaire, il explique son drame personnel à son supérieur, et demande une exemption afin de partir à la recherche de sa femme et de ses deux fils, mais elle lui est refusée, ne lui laissant d’autre choix que de déserter. Vidocq, devenu mauvais garçon, familier des bas-fonds, finit avec l’aide de ses amis de bagne Coco Latour et Bibi la grillade par retrouver la trace de Manon (ou Annette), qui vit au Château de Saint-Gratien et est la favorite du financier Ouvard, qui voudrait en faire sa femme. Il apprend plus tard qu’Annette est en fait tombée amoureuse d’un des chefs des Chauffeurs du Nord, mais que ses deux enfants ont été perdus au cours de l’arrestation mouvementée de son amant par les gendarmes. Vidocq est désespéré.

Nous sommes en 1809, le préfet de Police Pasquier et le chef de la Sûreté Henry ont à faire avec une nouvelle vague de crimes dans la capitale, apparemment perpétrés par la bande des Enfants du Soleil, dirigés par un redoutable criminel du nom de L’Aristo, dont les méthodes brutales défient la police et garantissent le silence de ceux qui se frottent ou se sont frottés à lui. L’Aristo entend que Vidocq est de retour à Paris, et va trouver Coco Latour et Bibi la grillade pour avoir de ses nouvelles. Il veut le rencontrer afin de lui proposer de rejoindre la bande des Enfants du Soleil. Vidocq, caché à ce moment là chez ses amis, ne perdant rien de la conversation, est soudain frappé d’une idée. Il va trouver le préfet de Police et le chef de la Sûreté, et leur propose un incroyable marché. Plutôt que d’accepter la proposition de l’Aristo, il va le trahir et le livrer à la police pieds et poings liés. Pourquoi ? « Car je porte en moi la récompense qui me donnera la force de me battre contre cette pègre, c'est-à-dire l’orgueil d’en devenir bientôt la terreur et l’espoir aussi, l’espoir insensé peut être, mais enraciné en moi jusqu’à la mort, de retrouver un jour mes deux enfants ! » 

Treize ans plus tard, donc en 1822, Vidocq est chef de la Sûreté. Manon est devenue auxilliaire de police. Coco Latour et Bibi la grillade font partie de la bande à Vidocq. Vidocq découvre alors que L’Aristo n’est pas mort et qu’il est devenu le marquis de la Roche-Bernard. Il cherche à piéger L’Aristo alias le marquis de la Roche-Bernard et sa complice Francine, alias Yolande. Mais c’est Vidocq qui se fait prendre au piège en suivant un gamin, le Tambour, qu’il vient d’arrêter et de relâcher afin qu’il le conduise à l’Aristo. Vidocq, malgré son déguisement, est reconnu à l’auberge du Bœuf Rouge et maîtrisé par les hommes de L’Aristo. Ce dernier le conduit dans sa salle de tortures où il a prévu de le torturer puis de lui sectionner les membres. Mais c’est alors qu’il est sauvé par Manon et ses deux complices Coco Latour et Bibi la grillade, qui ont envoyé la guenon Zohio afin lui couper les liens. Ils arrêtent la bande de l’Aristo, mais ce dernier et sa complice parviennent à s’échapper.

Le marquis de la Roche Bernard utilise ses influences afin de demander au Duc de Champtocé la main de sa fille. Le problème, c’est que celle-ci n’est pas d’accord, et réussit à embringuer sa tante dans ses aventures, suscitant ainsi la colère assez comique du Duc, vieux courtisan, caricature de la la Noblesse de la Restauration. En effet, Mlle de Champtocé est amoureuse de l’organiste Aubin Dermont. Afin de se débarrasser de lui, et avec l’aide de Yolande, La Roche-Bernard va imaginer un plan diabolique visant à la discréditer aux yeux de la jeune duchesse. Une nuit, Aubin tire des coups de pistolet sur son oncle, l’abbé Dubois, puis s’enfuit. Heureusement, l’Abbé s’en sort. Mais quand Vidocq et Manon se rendent à son chevet, ils apprennent qu’Aubin a un frère, Jean-Louis, aussi méchant qu’Aubin est bon. De plus, les deux frères se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Coup de théâtre, c’est sûrement un faux Aubin qui a tiré sur l’Abbé. Nouveau coup de théâtre ! Aubin et Jean-Louis ne sont autres que Jacques et Robert, les deux fils de Vidocq et Manon, recueillis par l’abbé pendant la Révolution…

Vidocq et Manon confrontent alors l’Aristo et Yolande au château de Saint Gratien. Ils les accusent d’avoir tout manigancé, et Vidocq accuse La Roche-Bernard d’être un bandit, le chef de la bande des Enfants du Soleil. Tout chef de la Sûreté qu’il est, pour Champtocé, Vidocq est un forçat. Pourtant, il finit par le convaincre. Démasqué, la Roche-Bernard s’enfuit, mais est finalement abattu par le Tambour, qui meurt aussi, mais qui n’est autre que le fils de Vidocq. Aubin épousera Marie-Thérèse de Champtocé. Ils auront un enfant, François d’Ermont. Vidocq et Annette se réconcilient. Un happy End, quoi !

Le roman de Bernède, un grand roman populaire…

« Vidocq » est un vrai roman populaire. Très facile à lire, conçu, nous le rappelons, comme le scénario d’un film à épisodes, un ciné-roman. L’écriture rappelle un peu Emile Gaboriau et Paul Féval. Certains des effets théâtraux de Vidocq nous évoquent sans peine la série. Et puis, même si Bernède a pris certaines libertés avec la réalité, beaucoup des éléments et personnages qui apparaissent dans le roman sont tirés de faits réels. Ainsi, Vidocq a bien été marié. Salembier était bien un des chefs des chauffeurs du nord. Il rencontre bien une Annette qui deviendra policier auxilliaire. Le financier Ouvrard existe, il est arrêté par Vidocq pour fraude. Vidocq rencontre d’ailleurs Balzac en 1822. Et Balzac parle de Vidocq à plusieurs reprises. Et le choix de Vautrin comme patronyme de son policier dont l’histoire personnelle est inspirée de celle de Vidocq ? Qu’est-ce qu’un vautrin si ce n’est un sanglier ? Mais c’est aussi le surnom qu’attrape Vidocq jeune à Arras. Sinon, Coco Latour était bien son second. Notons que dans ce roman, si les personnages procèdent par deux, c’est surtout l’opposition Vidocq-Manon et l’Aristo-Yolande qui nous semble intéressante. Des quatre, le personnage de Manon est passionnant : femme volage, adultère, mais vraiment amoureuse, trompée par son amant après avoir trompé son mari, que Vidocq retrouve maîtresse du financier Ouvrard, Manon cherche réellement à retrouver ses enfants. La réconciliation progressive du couple est d’ailleurs assez intéressante. Mais ce n’est pas la seule scène qui marque dans ce roman touffu ; ainsi, l’évolution de la chanoinesse qui prend parti pour les amours hors classe sociale de Marie-Thérèse, les disputes comiques de son père, ou encore ce grand moment où Vidocq joue le tout pour le tout et convainc Pasquier et Henry de l’engager dans la police…Les personnages de femmes sont souvent duals chez Bernède et de ce fait sont plus complexes, plus élaborés, plus évolutifs aussi que ceux des hommes qui sont souvent figés dans une réalité monodimensionnelle : Champtocé est un courtisan imbécile, Coco latour et Bibi la grillade sont des compagnons fidèles et patauds, l’Aristo est un esprit du mal, Vidocq est un surhomme en lutte contre le destin. Un excellent roman !

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