Préface des Editions de Londres

« Vie de Henry Brulard, Tome deux » est la suite de l’autobiographie de Stendhal, donc de Vie de Henry Brulard, Tome un, écrite entre 1835 et 1836.

La suite, l’adolescence, l’espagnolisme

Le Tome deux correspond approximativement aux années d’adolescence (approximativement puisque l’un des charmes de son autobiographie, c’est que Stendhal se répand continuellement en digressions, et en allers et retours avec le moment présent, des épisodes antérieurs, postérieurs, des analyses, des synthèses, des considérations sur l’amour, les amis, ou sur les arts principalement). Le tome deux comprend seize chapitres, comme le Tome un, commence au chapitre dix-sept et s’achève au chapitre trente-deux.

Au début du tome deux, on apprend la mort de sa tante Séraphie et son soulagement. Evidemment, sa famille comme toujours en est effarée. Mais au moins, on ne peut pas reprocher à Stendhal son manque d’honnêteté. Puis il nous parle de son espagnolisme, c'est-à-dire le fait qu’il ne pensait qu’à « l’honneur, qu’à l’héroïsme ». Je crois que cet espagnolisme est une post rationalisation élégante cherchant à trouver dans des origines familiales, exotiques et aristocratiques, une justification à sa haine du monde et des valeurs bourgeoises, que Stendhal décrirait probablement ainsi : malhonnêteté, couardise, morale d’apothicaire, obsession des richesses et biens matériels, étroitesse d’esprit, mentalité étriquée, envie, fascination pour le quand dira-t-on et le cercle social….Rien à voir avec ses valeurs aristocratiques (honneur, héroïsme, solitude, amour courtois, désintérêt du matériel, goût de l’art et de la nature…). « Cet espagnolisme, communiqué par ma tante Elisabeth, me fait passer, même à mon âge, pour un enfant privé d’expérience, pour un fou de plus en plus incapable d’aucune affaire sérieuse… ». Puis il précise sa pensée : « La conversation du vrai bourgeois sur les hommes et la vie, qui n’est qu’une collection de ces détails laids, me jette dans un spleen profond quand je suis forcé par quelque convenance de l’entendre un peu longtemps. »  Toutefois, il reconnaît que son espagnolisme, de par son dégoût de ce qui est bas « l’empêche d’avoir le génie comique ».

Qu’il se rassure, le monde bourgeois n’est pas plus connu pour son humour, convenu, bien dans les normes, aussi spontané que les cloches de l’église le dimanche, aussi normé qu’un tableau de belle-mère dans un salon Empire.

Finalement, son espagnolisme, qu’est-ce d’autre qu’un certain romantisme, non pas précieux, timoré, ou chétif, mais un romantisme du cœur et de l’âme, se traduisant par une honnêteté du style ? 

Puis il décrit son souvenir du siège de Lyon en 1793, rebaptisé « Commune-affranchie » après sa prise. Il parle de nouveau de son père, qu’il hait, qui se terre toujours dans la ville de Grenoble soumise à la « Terreur », laquelle n’en est pas une. Il entre ensuite à l’Ecole Centrale. Il décrit avec plus de détail son apprentissage du latin et des mathématiques, il critique ses professeurs, ses camarades, et d’ailleurs l’enseignement des mathématiques, lequel à l’époque semble privilégier la mémoire. Puis, « gros et un peu grand », il décrit au chapitre vingt-cinq sa passion pour Mademoiselle Kubly, une jeune et belle actrice qui jouait la comédie et chantait dans l’opéra-comique.

L’amour, les bourgeois, les Parisiens

La description de son amour pour Mlle Kubly lui inspire ces lignes : « En effet, l’amour a toujours été pour moi la plus grande des affaires, ou plutôt la seule. Jamais je n’ai peur de rien que de voir la femme que j’aime regarder un rival avec intimité…c’est au point que j’ai besoin de m’abandonner sur un banc de pierre à la porte de la maison. »

Il décrit son apprentissage du violon, de la clarinette, se plaint des sons exécrables qu’il faut produire pour apprendre la musique. Il raconte sa passion pour Shakespeare, qu’il a lu continuellement de 1796 à 1799. De Racine, il dit ceci : « Racine, sans cesse loué par mes parents, me faisait l’effet d’un plat hypocrite. » Et « D’ailleurs les vers m’ennuyaient comme allongeant la phrase et lui faisant perdre de sa netteté. » Il ajoute : « Corneille me déplaisait moins. Les auteurs qui me plaisaient alors à la folie furent Cervantès, Don Quichotte, et l’Arioste dans des traductions. »

Sur les bourgeois de nouveau : « Il faut convenir que c’était un plaisant animal qu’un bourgeois de France vers 1794 quand j’ai pu commencer à le comprendre, se plaignant amèrement de la hauteur des nobles et entre eux n’estimant un homme absolument qu’à cause de sa naissance. » Et il s’étonne des Parisiens, en profite pour balancer une nouvelle pique à Chateaubriand : « J’ai vu les enfants, dans les familles riches de Paris, employer toujours la tournure la plus ambitieuse pour arriver au style noble, et les parents applaudir à cet essai d’emphase. Les jeunes Parisiens diraient volontiers coursier au lieu de cheval, de là leur admiration pour MM. de Salvandy, de Chateaubriand, etc… »

Mais personne d’autre que Stendhal ne résume mieux le Parisien qu’ici : « et l’accent ferme et passionné du Midi qui, décelant la force du sentiment, la vigueur avec laquelle on aime ou on hait, est sur le champ singulier et partant voisin du ridicule à Paris. » Pas de doute, la meilleure définition des habitants de Paris, ce serait probablement cette image d’une bourgeoisie qui par dépit se serait auto-anoblie, et méprise ou est condescendante vis-à-vis de tout ce qui ne lui ressemble pas, c’est une exception culturelle, un vestige préservé de temps anciens, comme toutes ces reliques auxquelles elle s’attache, bientôt une pièce de musée.

Mais plutôt que de nous appesantir sur les Parisiens que Stendhal voit comme nous les voyons, nous terminerons par son idéal littéraire : Mon bel idéal littéraire a plutôt rapport à jouir des œuvres des autres et à les estimer, à ruminer sur leur mérite, qu’à écrire moi-même. » Quel bel exemple d’intrinsèque modestie ?

Et puis non, c’est par cette phrase que nous finirons après tout, beaucoup plus en phase avec cette remarquable introspection autobiographique : « Un de mes malheurs a été de ne pas plaire aux gens dont j’étais enthousiaste (exemple Mme Pasta et M. de Tracy), apparemment je les aimais à ma manière et non à la leur. »

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