Avertissement du premier éditeur Richard Sympson.

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L’auteur de ces voyages, M. Lemuel Gulliver, est un de mes anciens et intimes amis ; nous sommes aussi quelque peu parents par les femmes.

Il y a trois ans environ, M. Gulliver, fatigué du concours de curieux qui venaient le voir à sa résidence de Redriff, acheta une petite terre avec une maison convenable près de Newark, dans le comté de Nottingham, son pays natal, où il vit aujourd’hui dans la retraite, mais très estimé de ses voisins.

Bien que M. Gulliver soit né dans le comté de Nottingham, où demeurait son père, je lui ai entendu dire que sa famille était originairedu comté d’Oxford. Et, en effet, j’ai remarqué dans le cimetière de Banbury, ville de ce comté, plusieurs tombes et monuments appartenant aux Gulliver.

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Avant de quitter Redriff, il me laissa en garde les pages suivantes, avec la liberté d’en faire l’usage que je jugerais convenable. Je les ai lues trois fois avec soin. Le style en est tout à fait clair et simple. Le seul défaut que j’y trouve est que l’auteur, suivant l’habitude des voyageurs, s’arrête un peu trop aux détails. Tout le récit porte un air de vérité manifeste ; et, en effet, l’auteur était si remarquable pour sa véracité, qu’il était comme passé en proverbe parmi ses voisins de Redriff de dire, quand on affirmait quelque chose : « C’est aussi vrai que si M. Gulliver l’avait dit. »

Suivant le conseil de plusieurs personnes de mérite auxquelles, avec la permission de l’auteur, j’ai communiqué ce manuscrit, je me hasarde aujourd’hui à le donner au public, espérant qu’il fournira, au moins pour quelque temps, à notre jeune noblesse une distraction préférable au fatras vulgaire de la politique et des partis.

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Ce livre aurait été deux fois plus volumineux au moins, si je n’avais pris sur moi d’en retrancher d’innombrables passages relatifs aux vents et aux marées, aux déviations de l’aiguille et aux hauteurs observées dans les différents voyages, ainsi que la description minutieuse, en style de marin, de la manœuvre du navire pendant les tempêtes et le relevé des longitudes et des latitudes. En quoi j’ai lieu d’appréhender que M. Gulliver ne soit pas complètement satisfait ; mais je voulais mettre autant que possible l’ouvrage à la portée du commun des lecteurs. Toutefois, si mon ignorance des choses de la mer m’a fait commettre quelques méprises, moi seul en suis responsable, et si quelque voyageur a la curiosité de voir l’ouvrage complet tel qu’il est sorti des mains de l’auteur, je serai toujours prêt à le contenter.

Pour de plus amples détails sur l’auteur lui-même, les premières pages du livre donneront au lecteur toute satisfaction.

Richard Sympson.