Préface des Editions de Londres

Au Bagne, ce n’est pas une ville proche de Marseille, c’est le coup de maître de Londres, puisqu’il est évidemment question de Cayenne.

Il est paradoxal d’ailleurs que la France, patrie des Droits de l’Homme qui envoyait toujours coupables comme innocents (L’affaire Dreyfus) au bagne au début du siècle dernier, ait décidé d’installer la base spatiale de Kourou dans le territoire même où végétaient les indésirables. Eh oui, si Vidocq eut la « chance » d’être envoyé à Toulon, Jean Valjean et Dreyfus, entre autres, furent parmi les nombreux innocents qui découvrirent le petit bout de France coincé entre le Brésil et le Surinam. Une leçon de géographie aux frais de la République, l’école publique pour adultes en quelque sorte. En fait, le bagne de Cayenne ce serait, non pas la face cachée de la lune où l’on rêve qu’Ariane envoie un jour les nouveaux indésirables, mais plutôt le côté pile de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, l’envers du décor pour ceux qui n’ont pas les idées bien à l’endroit. « Au Bagne » est écrit à la suite d’un reportage sur le bagne de Saint-Laurent en Guyane. Il est publié en 1923 dans le Petit Parisien. Londres y décrit sans misérabilisme mais avec son humanité, son honnêteté et son humour caractéristiques les conditions ignobles dans lesquels vivent les forçats. Outre le traitement inhumain des condamnés, Londres découvre « le doublage », c’est à dire l’impossibilité pour un forçat ayant purgé sa peine de revenir dans la métropole avant un nombre d’années égal à la peine qu’il vient de terminer (sauf s’il est condamné à plus de sept ans, auquel cas, c’est la résidence guyanaise à perpétuité, un peu comme le chômage longue durée de nos jours). C’est une « double peine » complètement léonine, sans aucune justification humaine, et qui transforme la parodie de justice en spectacle de Guignol. Dans sa lettre ouverte au Ministre des Colonies, il écrit : « Vous êtes un grand voyageur, Monsieur Sarrault. Peut être un jour irez vous à la Guyane. […] Ce n’est pas des réformes qu’il faut en Guyane, c’est un chambardement général. » Il ne s’arrête pas là. Il continuera à dénoncer les conditions carcérales de la République en 1924 avec « Dante n’avait rien vu », qui décrit les batdaf ou bataillons disciplinaires d’Afrique, précédemment dénoncés par Georges Darien dans Biribi.

« Quand quelqu’un -de notre connaissance parfois- est envoyé aux travaux forcés, on dit : il va à Cayenne. Le bagne n’est plus à Cayenne, mais à Saint Laurent du Maroni d’abord et aux Iles du Salut ensuite. Je demande, en passant, que l’on débaptise ces îles. Ce n’est pas le salut là-bas, mais le châtiment. La loi nous permet de couper la tête des assassins, non de nous la payer […] Le bagne n’est pas une machine à châtiment bien définie, réglée, invariable. C’est une usine à malheur qui travaille sans plan ni matrice. On y chercherait vainement le gabarit qui servirait à façonner le forçat. Elle les broie, c’est tout, et les morceaux vont où ils peuvent. »

Un an après la publication de « Au bagne », en 1924, le bagne est fermé.

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