Préface des Éditions de Londres

On trouvera dans cette édition les deux œuvres de Descartes expliquant sa méthode de réflexion pour l’approche des sciences ainsi que son traité de dioptrique :

– Le discours de la méthode qui est son œuvre maîtresse dans laquelle il a voulu décrire la façon de penser permettant de découvrir la vérité dans les sciences.

– Les règles pour la direction de l’esprit qui est une œuvre incomplète qui n’avait pas été publiée du vivant de Descartes, mais qui a l’avantage de décrire avec plus de clarté les idées qui furent résumées dans le Discours de la méthode. La version en français que nous proposons est celle de Victor Cousin.

– La dioptrique qui était jointe dans l’édition originale au discours de la méthode et qui en illustre les affirmations théoriques.

Résumé des Règles pour la direction de l’esprit

L’ouvrage devait se composer de trois parties de douze règles chacune : la première contient les règles pour traiter des propositions simples, la deuxième les règles pour traiter les questions que l’on conçoit parfaitement, – seules les six premières sont rédigées – et la troisième partie devait contenir les règles concernant les questions que l’on conçoit imparfaitement.

La première règle va à l’encontre de la nécessité de spécialisation que proposait Aristote. Contrairement à l’art pour lequel il faut éduquer son corps dans une spécialité, il faut étudier toutes les sciences qui s’interpénètrent afin d’atteindre une vérité.

La deuxième règle explique qu’il ne faut bâtir des raisonnements que sur des bases solides et non sur des spéculations douteuses. Tous les raisonnements qui arrivent à des affirmations contradictoires sont faux : « Or, toutes les fois que deux hommes portent sur la même chose un jugement contraire, il est certain que l’un des deux se trompe. Il y a plus : aucun d’eux ne possède la vérité ; car s’il en avait une vue claire et nette, il pourrait l’exposer à son adversaire, de telle sorte qu’elle finirait par forcer sa conviction. » La recherche de la vérité doit se faire à la façon de démonstrations arithmétiques ou géométriques pour lesquelles existe un assentiment universel.

La troisième règle explique que toute étude doit reposer sur une vision certaine à partir de bases certaines, en ignorant ce que les autres ont pu en penser.

La quatrième règle indique qu’il faut mener son étude en respectant une méthode mathématique utilisant l’intuition et la déduction, partant des objets les plus simples pour passer aux plus complexes une fois que les plus simples sont complètement analysés et assimilés.

La cinquième règle spécifie qu’il faut décomposer un problème complexe en questions élémentaires pour pouvoir l’appréhender.

La sixième règle explique que pour déterminer les vérités les plus simples, il faut comparer chaque proposition aux autres.

La septième règle indique qu’une fois que toutes les propositions conduisant à une vérité sont analysées, il faut en faire l’énumération, seul moyen de porter un jugement sûr et fondé.

La huitième règle indique que si dans la chaîne des questions à résoudre, l’une d’elles ne peut être résolue, il faut s’arrêter là et admettre que son intelligence ne peut pas permettre de résoudre l’ensemble du problème.

La neuvième règle explique qu’il faut avoir une vue claire et distincte des choses simples avant de passer aux plus complexes.

La dixième règle propose de se familiariser avec le raisonnement méthodique en l’appliquant à l’explication de vérités simples déjà connues.

La onzième règle indique qu’une fois certaines conclusions validées il faut bien examiner les relations entre les différents objets afin que la mémoire les assimile complètement.

La douzième règle propose d’utiliser toutes les facultés de l’homme pour parvenir aux vérités que l’on cherche : l’intelligence, l’imagination, les sens et la mémoire.

La treizième règle concerne les questions simples dont il faut rechercher toutes les conditions pour bien les comprendre et déterminer quelles sont les conditions qu’il faut analyser.

La quatorzième règle concerne la représentation des corps étudiés, introduisant la notion d’étendue et d’unité.

La quinzième règle propose de schématiser, en traçant des figures, les questions que l’on étudie.

La seizième règle propose de retenir par des notes, en utilisant une notation abrégée, les conclusions qui ne nécessitent pas de figures.

La dix-septième règle rappelle qu’il faut parcourir tous les termes d’un problème par une voie simple et directe, que ces termes soient connus ou inconnus.

La dix-huitième règle indique que tous les problèmes peuvent être ramenés à quatre opérations : l’addition, la soustraction, la multiplication et la division.

Résumé du Discours de la méthode

Dans le discours de la Méthode, Descartes expose ses réflexions critiques sur l’éducation qu’il a reçue et propose une approche nouvelle de la philosophie basée sur des bases certaines et développée selon une méthode de réflexion mathématique.

Dans la première partie, Descartes expose la démarche qui l’a conduit à remettre en cause les connaissances qu’il a reçues qui sont en contradiction avec le bon sens dont chacun dispose. Il indique que dans son éducation, il appréciait surtout les mathématiques qui seront à la base de sa méthode. « Je me plaisais surtout aux mathématiques, à cause de la certitude et de l’évidence de leurs raisons ; mais je ne remarquais point encore leur vrai usage ; et, pensant qu’elles ne servaient qu’aux arts mécaniques, je m’étonnais de ce que leurs fondements étant si fermes et si solides, on n’avait rien bâti dessus de plus relevé. » Il doute de la vérité de la philosophie : « Je ne dirai rien de la philosophie, sinon que, voyant qu’elle a été cultivée par les plus excellents esprits qui aient vécu depuis plusieurs siècles, et que néanmoins il ne s’y trouve encore aucune chose dont on ne dispute, et par conséquent qui ne soit douteuse. »

La seconde partie explique pourquoi on peut douter des vérités qui sont inculquées par l’éducation et présente les principes de la méthode qui permettent de retrouver les vérités sur des bases solides :

« Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle.

Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinerais, en autant de parcelles qu’il se pourrait, et qu’il serait requis pour les mieux résoudre.

Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusqu’à la connaissance des plus composés.

Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre. »

La troisième partie tente d’élaborer une morale provisoire de vie pour remettre en cause les idées reçues. Une première maxime est de se conduire sans excès en respectant les lois et les coutumes du pays. La deuxième maxime est d’être persévérant dans ses actions. La troisième maxime est d’accepter son sort et de ne pas désirer l’impossible. La quatrième est de consacrer son temps à la réflexion pour rejeter les idées fausses et établir des idées justes en respectant la méthode définie.

La quatrième partie pose la séparation de l’esprit et du corps. Ce que l’on ressent peut être faux, mais le fait de penser est la preuve de l’existence de l’esprit. « Pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose ; et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais. » Descartes démontre alors l’existence de Dieu, car il est nécessaire qu’existe un être parfait qui permette à des êtres qui doutent de découvrir des pensées parfaites.

Dans la cinquième partie, Descartes applique sa méthode pour décrire la circulation du sang. Puis il cherche à démontrer que les animaux n’ont pas d’âme et il les assimile à une machine. Il démontre que l’âme chez l’homme est indépendante du corps et immortelle.

Dans la sixième partie, Descartes explique que c’est pour répondre à la demande qu’on lui fait qu’il a publié les trois traités qui accompagnent le Discours de la Méthode alors qu’il ne souhaitait rien publier pour consacrer tout son temps à l’étude.

Résumé de la Dioptrique

Les lunettes astronomiques avaient été inventées pendant l’enfance de Descartes, mais leur construction résultait du hasard et de l’expérience acquise. Dans la Dioptrique, Descartes, en appliquant sa méthode analytique, explique les règles de la réfraction à travers le verre et démontre de façon théorique la forme que doivent avoir les verres nécessaires aux lunettes. Il pousse son analyse en décrivant quelles doivent être les machines qui permettront la taille de ces verres.

C’est une application des règles de sa méthode : il s’appuie sur des observations que l’on peut facilement faire concernant la réfraction des rayons de la lumière. Il décrit de façon analytique, partant du plus simple vers le plus complexe la forme des verres permettant de grossir les objets. Il a une approche très mathématique dans ses démonstrations. Il explique tout le cheminement de sa pensée concernant la dioptrique sans s’appuyer sur des règles préétablies.

La lecture de la dioptrique, par le détail qu’y apporte Descartes, se trouve assez fastidieuse, mais est intéressante comme démonstration de sa façon de penser.

La lutte contre la méthode d’enseignement de l’époque

Descartes conteste l’enseignement, qui était donné par les hommes d’Église, basé sur des dogmes sacrés que l’on doit apprendre, mais que l’on ne justifie pas. Depuis Rabelais et Montaigne, cette éducation était déjà contestée. Montaigne voulait que l’on fasse réfléchir les enfants, plutôt que de leur faire apprendre par cœur, afin qu’ils aient la tête bien faite plutôt que bien pleine.

Les dogmes de l’antiquité concernant les sciences, basés sur la pensée d’Aristote et sacralisés par l’Église étaient à l’époque de Descartes remis en cause. En particulier, la théorie de Galilée qui démontrait que la terre tournait autour du soleil et non l’inverse allait à l’encontre des dogmes de l’Église.

Descartes constate qu’il n’y a pas une base solide à beaucoup des dogmes enseignés et qu’ils sont souvent contraires au bon sens. « Mais sitôt que j’eus achevé tout ce cours d’études, au bout duquel on a coutume d’être reçu au rang des doctes, je changeai entièrement d’opinion. Car je me trouvais embarrassé de tant de doutes et d’erreurs, qu’il me semblait n’avoir fait autre profit, en tâchant de m’instruire, sinon que j’avais découvert de plus en plus mon ignorance. »

Il lutte contre la logique des mots enseignée par les scolastiques, trop subtile, oubliant les réalités pour les abstractions. Il lutte contre la métaphysique qui cherche à expliquer ce qu’on ne comprend pas par des êtres imaginaires et des mots barbares

« Au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. »

Descartes remet en cause tout ce qui trouve dans les livres et veut vérifier par son propre bon sens la véracité de ce qu’on lui a appris.

« Pour toutes les opinions que j’avais reçues jusqu’alors en ma croyance, je ne pouvais mieux faire que d’entreprendre une bonne fois de les en ôter, afin d’y en remettre par après ou d’autres meilleures, ou bien les mêmes lorsque je les aurais ajustées au niveau de la raison. »

L’approche mathématique de la pensée

À la fin de ses études, Descartes était assailli par le doute, seule l’étude des mathématiques l’avait satisfait par les certitudes qu’elles comportent. « Je me plaisais surtout aux mathématiques, à cause de la certitude et de l’évidence de leurs raisons. »

En 1619, Descartes fait un songe où il a l’intuition que les lois de la nature sont en accord avec les lois des mathématiques qui peuvent être appliquées à l’étude de toutes les sciences.

Il veut donc appliquer les démonstrations mathématiques à toutes les sciences : « Considérant qu’entre tous ceux qui ont ci-devant recherché la vérité dans les sciences, il n’y a eu que les seuls mathématiciens qui ont pu trouver quelques démonstrations, c’est-à-dire quelques raisons certaines et évidentes. »

Il critique les thèses philosophiques des anciens : « Je ne dirai rien de la philosophie, sinon que, voyant qu’elle a été cultivée par les plus excellents esprits qui aient vécu depuis plusieurs siècles, et que néanmoins il ne s’y trouve encore aucune chose dont on ne dispute, et par conséquent qui ne soit douteuse. »

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