Notes

[Note_1] Hérodote raconte qu’après le meurtre du faux Smerdis, les sept libérateurs de la Perse s’étant assemblés pour délibérer sur la forme de gouvernement qu’ils donneraient à l’État, Otanès opina fortement pour la république ; avis d’autant plus extraordinaire dans la bouche d’un satrape qu’outre la prétention qu’il pouvait avoir à l’empire, les Grands craignent plus que la mort une sorte de gouvernement qui les force à respecter les hommes. Otanès, comme on peut bien croire, ne fut pointé écouté et, voyant qu’on allait procéder à l’élection d’un monarque, lui qui ne voulait ni obéir ni commander, céda volontairement aux autres concurrents son droit à la couronne, demandant pour tout dédommagement d’être libre et indépendant, lui et sa postérité, ce qui lui fut accordé. Quand Hérodote ne nous apprendrait pas la restriction qui fut mise à ce privilège, il faudrait nécessairement la supposer ; autrement Otanès, ne reconnaissant aucune sorte de loi et n’ayant de compte à rendre à personne, aurait été tout-puissant dans l’État et plus puissant que le roi même. Mais il n’y avait guère d’apparence qu’un homme capable de se contenter en pareil cas d’un tel privilège fût capable d’en abuser. En effet, on ne voit pas que ce droit ait jamais causé le moindre trouble dans le royaume, ni par le sage Otanès, ni aucun de ses descendants.

[Note_2] Dès mon premier pas je m’appuie avec confiance sur une de ces autorités respectables pour les philosophes, parce qu’elles viennent d’une raison solide et sublime qu’eux seuls savent trouver et sentir.

« Quelque intérêt que nous ayons à nous connaître nous-mêmes, je ne sais si nous ne connaissons pas mieux tout ce qui n’est pas nous. Pourvus par la nature d’organes uniquement destinés à notre conservation, nous ne les employons qu’à recevoir les impressions étrangères, nous ne cherchons qu’à nous répandre au-dehors, et à exister hors de nous ; trop occupés à multiplier les fonctions de nos sens et à augmenter l’étendue extérieure de notre être, rarement faisons-nous usage de ce sens intérieur qui nous réduit à nos vraies dimensions et qui sépare de nous tout ce qui n’en est pas. C’est cependant de ce sens dont il faut nous servir, si nous voulons nous connaître ; c’est le seul par lequel nous puissions nous juger.

Mais comment donner à ce sens son activité et toute son étendue ? Comment dégager notre âme, dans laquelle il réside, de toutes les illusions de notre esprit ? Nous avons perdu l’habitude de l’employer, elle est demeurée sans exercice au milieu du tumulte de nos sensations corporelles, elle s’est desséchée par le feu de nos passions ; le cœur, l’esprit, le sens, tout a travaillé contre elle. » Hist. Nat. T4, p. 151, De la Nat. de l’homme.

[Note_3] Les changements qu’un long usage de marcher sur deux pieds a pu produire dans la conformation de l’homme, les rapports qu’on observe encore entre ses bras et les jambes antérieures des quadrupèdes et l’induction tirée de leur manière de marcher ont pu faire naître des doutes sur celle qui devait nous être la plus naturelle. Tous les enfants commencent par marcher à quatre pieds et ont besoin de notre exemple et de nos leçons pour apprendre à se tenir debout. Il y a même des nations sauvages, telles que les Hottentots qui, négligeant beaucoup les enfants, les laissent marcher sur les mains si longtemps qu’ils ont ensuite bien de la peine à les redresser ; autant en font les enfants des Caraïbes des Antilles. Il y a divers exemples d’hommes quadrupèdes et je pourrais entre autres citer celui de cet enfant qui fut trouvé, en 1344, auprès de Hesse où il avait été nourri par des loups et qui disait depuis à la cour du prince Henri que, s’il n’eût tenu qu’à lui, il eût mieux aimé retourner avec eux que de vivre parmi les hommes. Il avait tellement pris l’habitude de marcher comme ces animaux qu’il fallut lui attacher des pièces de bois qui le forçaient à se tenir debout et en équilibre sur ses deux pieds. Il en était de même de l’enfant qu’on trouva en 1694 dans les forêts de Lituanie et qui vivait parmi les ours. Il ne donnait, dit M. de Condillac, aucune marque de raison, marchait sur ses pieds et sur ses mains, n’avait aucun langage et formait des sons qui ne ressemblaient en rien à ceux d’un homme. Le petit sauvage d’Hanovre qu’on mena il y a plusieurs années à la cour d’Angleterre, avait toutes les peines du monde à s’assujettir à marcher sur deux pieds et l’on trouva en 1719 deux autres sauvages dans les Pyrénées, qui couraient par les montagnes à la manière des quadrupèdes. Quant à ce qu’on pourrait objecter que c’est se priver de l’usage des mains dont nous tirons tant d’avantages, outre que l’exemple des singes montre que la main peut fort bien être employée des deux manières, cela prouverait seulement que l’homme peut donner à ses membres une destination plus commode que celle de la nature, et non que la nature a destiné l’homme à marcher autrement qu’elle ne lui enseigne.

Mais il y a, ce me semble, de beaucoup meilleures raisons, à dire pour soutenir que l’homme est un bipède. Premièrement quand on ferait voir qu’il a pu d’abord être conformé autrement que nous le voyons et cependant devenir enfin ce qu’il est, ce n’en serait pas assez pour conclure que cela se soit fait ainsi. Car, après avoir montré la possibilité de ces changements, il faudrait encore, avant que de les admettre, en montrer au moins la vraisemblance. De plus, si les bras de l’homme paraissent avoir pu lui servir de jambes au besoin, c’est la seule observation favorable à ce système, sur un grand nombre d’autres qui lui sont contraires. Les principales sont : que la manière dont la tête de l’homme est attachée à son corps, au lieu de diriger sa vue horizontalement, comme l’ont tous les autres animaux, et comme il l’a lui-même en marchant debout, lui eût tenu, marchant à quatre pieds, les yeux directement fichés vers la terre, situation très peu favorable à la conservation de l’individu ; que la queue qui lui manque, et dont il n’a que faire marchant à deux pieds, est utile aux quadrupèdes, et qu’aucun d’eux n’en est privé ; que le sein de la femme, très bien situé pour un bipède qui tient son enfant dans ses bras, l’est si mal pour un quadrupède que nul ne l’a placé de cette manière ; que le train de derrière étant d’une excessive hauteur à proportion des jambes de devant, ce qui fait que marchant à quatre nous nous traînons sur les genoux, le tout eût fait un animal mal proportionné et marchant peu commodément ; que s’il eût posé le pied à plat ainsi que la main, il aurait eu dans la jambe postérieure une articulation de moins que les autres animaux, savoir celle qui joint le canon au tibia, et qu’en ne posant que la pointe du pied, comme il aurait sans doute été contraint de faire, le tarse, sans parler de la pluralité des os qui le composent, paraît trop gros pour tenir lieu de canon et ses articulations avec le métatarse et le tibia trop rapprochées pour donner à la jambe humaine dans cette situation la même flexibilité qu’ont celles des quadrupèdes. L’exemple des enfants étant pris dans un âge où les forces naturelles ne sont point encore développées ni les membres raffermis, ne conclut rien du tout et j’aimerais autant dire que les chiens ne sont pas destinés à marcher, parce qu’ils ne font que ramper quelques semaines après leur naissance. Les faits particuliers ont encore peu de force contre la pratique universelle de tous les hommes, même des nations qui, n’ayant eu aucune communication avec les autres, n’avaient pu rien imiter d’elles. Un enfant abandonné dans une forêt avant que de pouvoir marcher, et nourri par quelque bête, aura suivi l’exemple de sa nourrice en s’exerçant à marcher comme elle ; l’habitude lui aura pu donner des facilités qu’il ne tenait point de la nature ; et comme des manchots parviennent à force d’exercice à faire avec leurs pieds tout ce que nous faisons de nos mains, il sera parvenu enfin à employer ses mains à l’usage des pieds.