Préface des Éditions de Londres

« L’Esprit des Lois » est l’œuvre maîtresse de Montesquieu publiée en 1748. C’est un traité d’économie politique et de droit faisant l’analyse des différents types de gouvernements et des lois qui y sont appropriées. Montesquieu mit vingt années à l’écrire, n’hésitant pas à voyager à travers l’Europe pour récolter ses informations.

Dès sa parution, l’Esprit des Lois fit l’objet de nombreuses critiques de la part des conservateurs et de l’Église. Il fut mis à l’index en 1751. Pour répondre à ces critiques, Montesquieu publie en 1750 la Défense de l’Esprit des Lois.

Qu’est-ce que l’Esprit des Lois ?

Dans l’Esprit des Lois, Montesquieu fait l’analyse des lois existantes dans chaque nation afin d’expliquer leur relation avec le type de gouvernement, il les juge parfois, mais il ne cherche pas à définir le modèle du gouvernement idéal.

Alors qu’Aristote, suivi par Rousseau, distinguait les trois types de gouvernement suivants : royauté pour le gouvernement d’un seul, aristocratie pour le gouvernement par une minorité, république pour le gouvernement par la majorité du peuple, ces trois types de gouvernements quand ils déviaient devenant respectivement : une tyrannie, une oligarchie et une démagogie, Montesquieu, identifie les suivants : la république soit sous forme de démocratie quand tout le peuple gouverne, soit sous forme d’aristocratie quand seule une élite gouverne, la monarchie, gouvernement d’un seul en respectant des lois et le despotisme quand un chef prend le pouvoir arbitrairement.

Montesquieu insistera beaucoup sur les différences entre la monarchie et le despotisme, craignant la dérive despotique de la monarchie française.

Une autre règle d’importance que fait apparaître clairement Montesquieu, c’est la séparation qu’il doit y avoir entre le pouvoir législatif qui élabore les lois et qui doit appartenir au peuple, le pouvoir exécutif qui doit être assuré par des personnes compétentes chargées d’appliquer les lois et le pouvoir judiciaire chargé de sanctionner le non-respect des lois.

Même si la Révolution française utilisa largement les concepts de Montesquieu, ainsi que ceux de Rousseau, Montesquieu ne proposait pas un nouveau système de gouvernement pour la France.

Notre édition

Notre édition reprend le texte de l’édition de 1757 contenant toutes les corrections qu’avait faites Montesquieu après les premières éditions. Nous en avons modernisé l’orthographe pour une lecture plus facile.

On y trouvera toutes les notes de Montesquieu, un certain nombre de notes provenant de l’analyse que Voltaire avait faite de l’Esprit des Lois (marquées [Voltaire]), des notes de l’analyse de Camille Jullian, professeur au Collège de France (marquées [Jullian]) et quelques notes historiques ou explicatives de notre part (marquées [EdL]).

On trouvera également un guide de lecture permettant de sélectionner les chapitres et passages les plus importants qui sont encadrés dans le texte par un [D] et un [F].

Analyse de l’esprit des lois par d’Alembert

On pourra également lire à la fin de ce volume l’analyse que fit d’Alembert de l’Esprit des Lois. Suivre ce lien. [E]

Contenu de chaque livre du premier volume

Livre I – Que sont les lois ?

« Il y a donc une raison primitive ; et les lois sont les rapports qui se trouvent entre elle et les différents êtres, et les rapports de ces divers êtres entre eux. »

Il existe des lois physiques dans les mouvements et les rapports de la nature. Les hommes, par leur intelligence, ont pu les transgresser et ont dû y substituer des lois politiques et civiles pour leur permettre de vivre en société.

Les lois politiques dépendent de la nature des peuples dont elles règlent les rapports et des conditions de leur vie.

Livre II – Les lois dérivent de la nature du gouvernement.

Il existe trois types de gouvernement : le républicain, le monarchique et le despotique. « Le gouvernement républicain est celui où le peuple en corps, ou seulement une partie du peuple, a la souveraine puissance : le monarchique, celui où un seul gouverne, mais par des lois fixes et établies ; au lieu que dans le despotique, un seul, sans loi et sans règle, entraîne tout par sa volonté et par ses caprices. »

Le gouvernement républicain se décompose en démocratie quand la puissance souveraine est conservée par l’ensemble du peuple et en aristocratie quand seule une partie du peuple l’exerce.

Cette distinction est théorique, beaucoup d’États pouvant associer deux de ces formes.

Les lois seront différentes selon les types de gouvernement. Dans la démocratie, le peuple est à certains égards le monarque, à d’autres le sujet ; il élit et juge ses magistrats et les magistrats, exécutent les lois. La monarchie entraîne qu’il y ait, entre le monarque et le peuple, beaucoup de pouvoirs et de rangs intermédiaires et un corps chargé de vérifier l’application des lois. Dans le despotisme, le despote exerce son autorité, ou par lui seul, ou par un seul qui le représente.

Livre III – Les principes des trois types de gouvernement.

Le principe qui fait agir chaque gouvernement dépend de son type.

Dans la démocratie, c’est la vertu politique du peuple qui aime la république et la liberté qui est le ressort de l’action.

Dans l’aristocratie, il faut une vertu modérée des aristocrates qui les rend égaux entre eux.

Dans la monarchie, la vertu n’est pas nécessaire, c’est le monarque qui fait respecter les lois. Le ressort qui la fait fonctionner est l’honneur de son rang à tous les niveaux de la société.

Dans un gouvernement despotique, c’est la crainte qui en est le ressort. Les magistrats se font craindre par le peuple et craignent le despote. La crainte entraîne l’obéissance.

Livre IV

Les lois de l’éducation doivent être en accord avec le type de gouvernement : « Dans les monarchies, elles auront pour objet l’honneur ; dans les républiques, la vertu ; dans le despotisme, la crainte. »

Dans les monarchies, l’honneur a ses règles auxquelles l’éducation doit se conformer : on ne doit pas faire cas de sa vie qui est au service du monarque et l’on doit tenir son rang.

Dans un État despotique, l’éducation est dangereuse, on doit faire régner la crainte.

Dans une république, l’éducation doit conduire à l’amour des lois et de la patrie.

Livre V

Les lois politiques dépendent, elles aussi, du type de gouvernement.

L’amour de la république dans une démocratie, c’est aimer l’égalité et la frugalité. Les lois doivent les établir. Les lois dans la démocratie, pour maintenir cette égalité, doivent prendre un soin particulier des questions d’héritage. Les lois doivent également remédier à l’accumulation des richesses et obliger à travailler. Il faut y maintenir les mœurs anciennes et pour cela avoir des gardiens des lois choisis parmi les plus âgés.

Dans une aristocratie, la vertu est l’esprit de modération. La modestie et la simplicité des manières font la force des nobles aristocratiques. Les nobles de l’aristocratie ne doivent pas s’enrichir de leurs prérogatives et doivent participer à l’impôt.

Dans les monarchies, les lois devront maintenir l’honneur des nobles. Pour cela, elles feront que les fiefs soient maintenus lors des héritages avec en particulier le droit d’aînesse. Les lois politiques doivent organiser des pouvoirs qui contrôleront le respect de ces lois.

L’image du despotisme, c’est : « Quand les sauvages de la Louisiane veulent avoir du fruit, ils coupent l’arbre au pied, et cueillent le fruit.. Voilà le gouvernement despotique. »

Le gouvernement despotique ne nécessite pas de lois puisque la volonté du monarque régit tout. Il peut cependant exister une loi fondamentale réglant la succession du monarque.

Livre VI - Les lois, les jugements et les peines.

Les lois civiles et les peines vont, elles aussi, dépendre du type de gouvernement.

Les lois civiles sont très simples dans un gouvernement despotique. Le peuple est réduit à l’état d’esclave : « Il résulte encore de cette prodigieuse multitude d’esclaves, qu’il n’y a presque point de gens qui aient une volonté propre, et qui par conséquent doivent répondre de leur conduite devant un juge. »

À l’opposé, dans les monarchies les lois sont complexes, car elles doivent traiter non seulement de la vie et des biens, mais aussi de l’honneur, et tenir compte des privilèges.

Dans une république, il est nécessaire de disposer de lois écrites qui fixent les peines à appliquer. Le magistrat n’est pas maître d’interpréter la loi.

Dans les monarchies, ce sont les magistrats qui doivent juger, le prince ne doit pas être juge lui-même, mais il dispose du droit de grâce pour adoucir les peines.

Les peines seront plus dures dans un gouvernement despotique parce que la vie y est dure. Dans un État modéré, la condamnation d’une mauvaise action est déjà une grande peine. Accroître les peines n’évite pas que les mauvaises actions se reproduisent et il faut alors les accroître de nouveau.

Livre VII - Le luxe, les lois somptuaires et la condition des femmes.

Le luxe ne peut exister que s’il y a inégalité des fortunes. Pour que les richesses restent également partagées, il faut que la loi ne donne à chacun que le nécessaire physique. S’il y a plus, certains le dépenseront et d’autres s’enrichiront.

Le luxe apparaîtra surtout dans les monarchies où les nobles doivent dépenser pour que le peuple puisse vivre.

Des lois somptuaires contre le luxe peuvent être nécessaires quand les importations appauvrissent le pays.

Le sort des femmes dépend également du type de gouvernement. Dans les monarchies, les femmes ont peu de retenue. Dans les États despotiques, elles sont esclaves. Dans les républiques, elles sont libres par les lois et captives par les mœurs.

Les femmes peuvent gouverner un empire, leur faiblesse même leur donne plus de douceur et de modération.

Livre VIII - La corruption des trois types de gouvernements.

La démocratie a deux excès à éviter ; l’esprit d’inégalité, qui la mène à l’aristocratie, ou au gouvernement d’un seul ; et l’esprit d’égalité extrême où le peuple veut tout faire par lui-même, qui la conduit au despotisme d’un seul par la corruption.

L’égalité dans une démocratie ne suppose pas que tout le monde commande. On ne cherche pas à ne pas avoir de maître, mais à n’avoir que ses égaux pour maîtres.

L’aristocratie se corrompt lorsque le pouvoir des nobles devient arbitraire : il ne peut plus y avoir de vertu dans ceux qui gouvernent, ni dans ceux qui sont gouvernés.

La monarchie se perd lorsqu’un prince croit qu’il montre plus sa puissance, en changeant l’ordre des choses qu’en le suivant, lorsqu’il ôte les fonctions naturelles des uns, pour les donner arbitrairement à d’autres. La corruption de la monarchie la conduit au despotisme.

Le principe du gouvernement despotique se corrompt sans cesse, parce qu’il est corrompu par sa nature.

Une république est de nature un petit territoire. Dans une grande république, le bien commun est sacrifié à l’intérêt individuel. Un État monarchique doit être d’une grandeur moyenne. Sinon les grands de l’État, loin du prince chercheront à s’émanciper.

Livre IX - Des lois dans le rapport qu’elles ont avec la force défensive.

Si une république est petite, elle est détruite pas une force étrangère ; si elle est grande, elle se détruit par un vice intérieur. C’est pourquoi les républiques ont besoin de se réunir en confédérations. Dans une confédération, il faut définir quel est le domaine de l’administration fédérale, en particulier les alliances avec l’extérieur et définir la participation de chaque État au vote et aux charges de la confédération.

Les États despotiques assurent leur sûreté en s’isolant et en ravageant le pays proche des frontières.

Les monarchies défendent militairement leurs frontières.

La vraie puissance d’un prince ne consiste pas tant dans la facilité qu’il a à conquérir, que dans la difficulté qu’il y a à l’attaquer.

Livre X. - Des lois dans le rapport qu’elles ont avec la force offensive.

La vie des États est comme celle des hommes. Ceux-ci ont droit de tuer dans le cas de la défense naturelle ; ceux-là ont droit de faire la guerre pour leur propre conservation.

Les hommes peuvent régler leurs litiges par les tribunaux, non pas les États.

Après la conquête par la guerre, le conquérant doit respecter le peuple conquis. Il est clair que, lorsque la conquête est faite, le conquérant n’a plus le droit de tuer ; puisqu’il n’est plus dans le cas de la défense naturelle, et de sa propre conservation.

Si une démocratie conquiert un peuple pour le gouverner comme sujet, elle exposera sa propre liberté ; parce qu’elle confiera une trop grande puissance aux magistrats qu’elle enverra dans l’État conquis.

Lorsque la conquête est immense, elle suppose le despotisme. Pour lors, l’armée répandue dans les provinces ne suffit pas.

Livre XI. - Des lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec la constitution.

Ce livre traite des lois constitutionnelles qui régissent l’État.

La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent ; et si un citoyen pouvait faire ce qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté, parce que les autres auraient de même ce pouvoir.

Les États ne sont pas libres par nature, il ne faut pas que les dirigeants abusent du pouvoir et pour cela, il faut une constitution.

Il y a dans chaque État trois sortes de pouvoirs, la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil.

Si les mêmes personnes détiennent le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, il n’y a pas de liberté, le pouvoir peut faire des lois tyranniques et les exécuter tyranniquement.

La justice ne doit pas être assurée par un corps permanent, mais par des personnes tirées du peuple. Les jugements doivent respecter les lois.

La puissance législative appartient au peuple, mais il est impossible que le peuple d’un grand État se réunisse, il faut donc qu’il nomme des représentants qui reçoivent une délégation générale du peuple pour faire les lois et contrôler leur exécution.

La puissance exécutive doit être confiée à un « monarque » choisi hors du pouvoir législatif.

Livre XII. - Des lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec le citoyen.

Ce livre traite des lois qui régissent la liberté des citoyens. Elles ont pour but d’assurer la sûreté du citoyen.

La liberté philosophique consiste dans l’exercice de sa volonté, ou du moins (s’il faut parler dans tous les systèmes) dans l’opinion où l’on est que l’on exerce sa volonté. La liberté politique consiste dans la sûreté, ou du moins dans l’opinion que l’on a de sa sûreté.

Avant de condamner, il faut s’assurer de l’existence de la faute. Un seul témoin ne suffit pas car il peut mentir.

La peine doit être dans sa nature et dans sa force en relation avec le crime pour être efficace.

Les peines concernant les atteintes à la religion doivent être liées à la religion par les privations de ses avantages.

Les peines concernant les crimes contre la sûreté des citoyens doivent être de même nature que le crime, c’est la loi du talion.

Il fait être très circonspect dans les jugements qui ne concernent pas les actions des citoyens, mais leurs pensées, comme la magie, l’hérésie ou le crime de lèse-majesté.