Préface

Dictionnaire ou jeux de mots ?

Il est toujours délicat d’avancer une définition personnelle pour un genre littéraire. D’autant plus que les frontières de celui-ci sont susceptibles d’évoluer en fonction du temps et de la production des écrivains. Sinon, on peut être amené à ranger sous le même chapeau des œuvres qui n’ont pas grand-chose à voir.

À l’occasion de la publication de Fragments, premier titre de la collection « East End » des Éditions de Londres nous allons tenter de vous proposer la nôtre, de vous expliquer pourquoi nous ouvrons le bal avec ces textes dont la teneur en déstabilisera sans doute plus d’un – ce dont nous nous félicitons.

Au moment où nous écrivons ces lignes, on peut lire dans l’introduction à l’article Wikipedia sur le « roman noir » :

« Le roman noir désigne aujourd’hui un roman policier inscrit dans une réalité sociale précise, porteur d’un discours critique, voire contestataire. Le roman noir, tout en étant un roman détective, se fixe ses propres frontières en s’opposant au roman d’énigme, car le drame se situe dans un univers moins conventionnel, et moins ludique. »

Autant vous dire tout de suite que nous ne sommes pas vraiment d’accord avec cette explication, qui pêche par ailleurs par manque de précision. Mais les encyclopédistes bénévoles ne semblent pas non plus d’accord entre eux, car un peu plus bas, dans la rubrique « Définition », il est écrit :

« Le roman noir semble difficile à définir de par sa structure instable et ses diverses variations dans le temps. Cependant on peut relever certains éléments récurrents qui le caractérisent : un univers violent, un regard tragique et pessimiste sur la société, un fort ancrage référentiel et un engagement politique ou social. D’autres critères peuvent être ajoutés à cette définition par leur présence répétée dans le roman noir : l’usage de la langue verte ou argot pour être au plus près du milieu social décrit, l’écriture behavioriste ou encore un paysage essentiellement urbain que l’on retrouve dans les films noirs. »

Et cette fois, nous n’avons pas grand-chose à redire. Rien, en fait.

Vous l’aurez peut-être compris, pour nous, le roman noir n’est pas forcément un roman policier, même si nous ne renions pas qu’il en soit à l’origine – quoique l’un des précurseurs français du genre se nomme Honoré de Balzac (avec Une ténébreuse affaire), pas vraiment une figure du genre.

À vrai dire, un « roman noir » ne devrait pas (plus) être policier. Le mot noir devrait être réservé à des œuvres comme celles de John Fante (Demande à la poussière) ou de son fils Dan (Les Anges n’ont rien dans les poches). Ou à Fragments, en ce qui nous concerne plus directement. Des textes qui dépeignent un quotidien réaliste, souvent violent, et qui porte un regard sans complaisance sur la société et ce qu’elle a de moins beau à contempler. Mais, encore une fois, la définition proposée plus haut nous convient parfaitement.

Le « policier noir » pourrait se ranger sous l’appellation de polar – dont le nom ressemble à une abréviation de ces deux mots –, plutôt que celle-ci ne soit qu’un synonyme du roman policier. On y trouverait notamment une partie de l’œuvre du grand James Ellroy (comme la trilogie Lloyd Hopkins), ou celle du géant Raymond Chandler.

Et le « policier » ne concernerait que les romans… policiers, c’est à dire plus traditionnels (on pense par exemple à Simenon), davantage axés sur l’enquête comme les whodunnit ou les romans à énigmes (on songe forcément à Agatha Christie).

On serait également tenté de sortir les sous-genres « thriller » et « espionnage », pour les mettre au même niveau que les trois précédents.

Nous assumons cette opinion, et c’est donc la nomenclature que nous utiliserons au sein de la collection. Pour mieux guider vos lectures en fonction de vos goûts, vous bénéficiez d’ailleurs d’un repère visuel sur la couverture, un onglet à droite qui mentionne le genre précis dont le texte retourne.

 

Et le format, c’est du 24x36 ?

Si on osait, on s’attaquerait également à la redéfinition de la nouvelle. Contestataire et révolutionnaire aux Éditions de Londres ? Absolument !

Nous n'avons pu nous résoudre à indiquer en page de titre le mot « nouvelle », nous trouvons que celui-ci ne sied pas convenablement à Fragments. Pas plus que son dérivé « micro-nouvelle ». C’est pour cela que nous parlons en 4e de couverture d’album photo sans image. Les trente-sept fragments de ce recueil sont autant de clichés – on ne fait évidemment pas allusion au sens péjoratif – du monde dans lequel nous vivons. Des instants de vie parfois plus que des histoires en tant que telles, comme si nous nous retrouvions l’espace d’un moment dans l’existence d’un autre.

Peut-être aussi, parce que nous voulons redonner envie aux lecteurs de lire des textes courts, format qui se prête formidablement bien au numérique, et que nous désirons présenter la « nouvelle » sous un jour nouveau.

En fait, Fragments est à la fois le meilleur titre et la meilleure description que nous puissions trouver.