Préface des Éditions de Londres

Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence a été publié par Montesquieu en 1734 à l’âge de quarante-cinq ans.

On pense que son idée était d’abord d’en faire un chapitre de l’Esprit des Lois qu’il a voulu développé et publier indépendamment.

Montesquieu y résume l’histoire de Rome depuis ses origines jusqu’à la chute des empires d’Occident et d’Orient. Il cherche à en déduire les causes qui font que les États grandissent et disparaissent.

Le succès fut immense et neuf éditions parurent du vivant de Montesquieu.

Les grandes phases de l’histoire romaine

La création de Rome dirigée par des rois depuis 753 av. JC jusqu’à 509 av. JC. C’est l’époque de guerres permanentes dans le Latium.

La république fondée en 509 av. JC et qui durera jusqu’à la nomination d’Auguste empereur en 27 av. JC.

L’expansion en Europe et sur les côtes africaines. Elle commence au IIIème siècle av. JC par la conquête de l’Italie et se prolonge jusqu’au Ier siècle av JC avec la conquête de la Gaule.

Les guerres civiles. Guerre civile de Marius contre Sylla, puis de César contre Pompée, puis d’Octave contre Marc Antoine. Ce sont des guerres pour le pouvoir dans un contexte d’inégalité des droits entre les Romains et les autres Italiens et entre la plèbe et l’aristocratie.

L’empire commence avec la victoire d’Octave sur Antoine. Octave devient Auguste et empereur en 27 av. JC. Très vite les empereurs sont détestés au moins par l’aristocratie sinon par le peuple. Ils seront régulièrement assassinés et c’est très souvent les armées qui les nommeront.

La séparation Orient Occident. La séparation commence avec Dioclétien qui règne en Orient et nomme un autre empereur pour l’Occident en 286. Elle est définitive avec Théodose en 395 qui répartit l’empire entre ses deux fils.

La chute de l’empire d’Occident. Du fait de ses problèmes internes et des invasions barbares venant du nord à partir du IVème siècle, l’empire romain d’Occident va disparaître. En 402, l’empereur quitte Rome pour Ravenne. En 476, quand Odoacre force l’empereur Romulus Augustule à abdiquer, c’est la fin des empereurs d’Occident.

La chute de l’empire d’Orient. L’empire d’Orient durera beaucoup plus longtemps puisqu’il disparaitra en 1453 avec la prise de Constantinople par les Turcs.

Les causes de la grandeur et de la décadence de Rome

Montesquieu ne veut pas croire à la fatalité ou au pouvoir divin pour expliquer la grandeur et la décadence des États. Il faut pour cela qu’il y ait des causes particulières. On lit au chapitre XVIII : « Ce n’est pas la Fortune (fortune au sens de hasard) qui domine le monde. On peut le demander aux Romains, qui eurent une suite continuelle de prospérités quand ils se gouvernèrent sur un certain plan, et une suite non interrompue de revers lorsqu’ils se conduisirent sur un autre. Il y a des causes générales, soit morales, soit physiques, qui agissent dans chaque monarchie, l’élèvent, la maintiennent, ou la précipitent ; tous les accidents sont soumis à ces causes, et, si le hasard d’une bataille, c’est-à-dire une cause particulière, a ruiné un État, il y avait une cause générale qui faisait que cet État devait périr par une seule bataille. En un mot, l’allure principale entraîne avec elle tous les accidents particuliers. »

Les causes qu’identifie Montesquieu, D’Alembert, dans un éloge qu’il fit de Montesquieu, les a très bien résumées :

« C'est sous ce point de vue qu'il faut envisager l'ouvrage de M. de Montesquieu. Il trouve les causes de la grandeur des Romains dans l'amour de la liberté, du travail, et de la patrie, qu'on leur inspirait dès l'enfance ; dans la sévérité de la discipline militaire ; dans ces dissensions intestines qui donnaient du ressort aux esprits, et qui cessaient tout à coup à la vue de l'ennemi dans cette constance après le malheur, qui ne désespérait jamais de la république ; dans le principe où ils furent toujours de ne faire jamais la paix qu'après des victoires ; dans l'honneur du triomphe, sujet d'émulation pour les généraux ; dans la protection qu'ils accordaient aux peuples révoltés contre leurs rois ; dans l'excellente politique de laisser aux vaincus leurs dieux et leurs coutumes ; dans celle de n'avoir jamais deux puissants ennemis sur les bras, et de tout souffrir de l'un jusqu'à ce qu'ils eussent anéanti l'autre.

« Il trouve les causes de leur décadence dans l'agrandissement même de l'état, qui changea en guerres civiles les tumultes populaires dans les guerres éloignées, qui, forçant les citoyens à une trop longue absence, leur faisaient perdre insensiblement l'esprit républicain ; dans le droit de bourgeoisie accordé à tant de nations, et qui ne fit plus du peuple romain qu'une espèce de monstre à plusieurs têtes ; dans la corruption introduite par le luxe de l'Asie ; dans les proscriptions de Sylla, qui avilirent l'esprit de la nation et la préparèrent à l'esclavage ; dans la nécessité où les Romains se trouvèrent de souffrir des maîtres lorsque leur liberté leur fut devenue à charge dans l'obligation où ils furent de changer de maximes en changeant de gouvernement ; dans cette suite de monstres qui régnèrent, presque sans interruption, depuis Tibère jusqu'à Nerva, et depuis Commode jusqu'à Constantin ; enfin dans la translation et le partage de l'empire, qui périt d'abord en Occident par la puissance des barbares, et qui, après avoir langui plusieurs siècles en Orient sous des empereurs imbéciles ou féroces, s'anéantit insensiblement, comme ces fleuves qui disparaissent dans des sables. »

Le contexte de l’écriture

La jeunesse de Montesquieu se déroule pendant la fin du règne de Louis XIV, roi puissant et absolu. Le règne de Louis XIV est suivi par la régence du duc d’Orléans qui veut réformer le pouvoir absolu, faisant revenir le roi à Paris et renforçant les droits du Parlement.

Le début du règne de Louis XV à partir de 1723 sous la tutelle du cardinal de Fleury est une période calme et prospère.

Notre édition

Notre édition reprend le texte original de la septième édition de 1748.

Nous y avons ajouté de nombreuses notes historiques (marquées (EdL), les autres notes sont de Montesquieu.