Préface des Editions de Londres

Les « Illuminations » sont un recueil de fragments poétiques en prose écrits entre 1872 et 1875, et remis à Verlaine en Février 1875 à Stuttgart.

Ils sont probablement postérieurs à Une saison en enfer bien que l’on ait longtemps cru le contraire. Si Une saison en enfer peut abusivement s’apparenter à une profession de foi où Rimbaud règle ses comptes avec la vie, la société, la bourgeoisie, les barrières qui enferment, les sacs à provisions qui étouffent notre liberté et nos irrésistibles poussées d’être, si les Lettres du voyant se rapprochent le plus d’une théorisation de son art, ou d’une critique de l’art passé, les Illuminations franchissent une nouvelle étape. En cela il existe bien une logique a posteriori et une chronologie dans l’œuvre de Rimbaud. Les Illuminations rompent avec le monde réel, elles nous en éloignent, elles le rendent plus beau, plus mystérieux, elles nous élèvent, en attachant des propulseurs à notre esprit, elles nous offrent la lévitation, l’ascension au dessus du matériel, du spirituel et du contingent. Les « Illuminations » rompent définitivement avec la poésie telle qu’on l’avait corsetée, nous portent sur les chemins du Surréalisme et nous ramènent vers un monde poétique fragmentaire, presque présocratique, dont deux mille ans de bon sens logique, classique, ordonné, organisé, nous avait séparés. En un sens, les Illuminations constituent peut être un retour aux origines.

D’ici deux cent ans, cette brève rencontre entre Rimbaud et Verlaine à Stuttgart, ce moment où, encore hésitant, Rimbaud passe ses quelques dizaines de fragments à Verlaine, serait-ce le point de rupture dans l’histoire de l’Occident ? Comme il y a un pré et un post Socrate, il y aurait un pré et post « Illuminations » ?

Suite à cela, Rimbaud s’en va. Il part, voyage, pour ne jamais revenir. Cette décision de partir, souvent présentée par les gardiens du temple littéraire comme bien regrettable, elle paraît logique et presque inévitable aux Editions de Londres ; il est bien possible, qu’après les « Illuminations », Rimbaud n’ait tout simplement plus rien à dire.

On ne peut s’empêcher de réfléchir à l’état de notre société lorsque l’on lit les « Illuminations ». Evidemment, aucun éditeur ne s’y intéresserait de nos jours, ce qui décrédibilise le monde de l’édition d’un coup de « lettre standard ». Si le monde de l’édition devient le monde de la répétition du même, franchement, il n’y a plus besoin d’éditeurs. On s’en passe très bien.

Donc, l’éditeur lui dirait non, autant de fois qu’il existe d’éditeurs, et personne ne le lirait. Déçu, irait-il sans y croire vendre son intelligence et sa fougue à un employeur, et alors que lui dirait-on ? « Brillant, intelligent, ambitieux, mais doit structurer sa pensée, organiser son travail, distiller sa communication afin de présenter ses arguments de la façon la plus convaincante possible… ». Sur ce, Rimbaud leur enverrait les fragments à la gueule et s’en irait.

Lorsqu’on lit les Illuminations, on a les yeux qui s’écarquillent, les narines qui se dilatent, la sueur qui perle au front, la peau qui frémit, les larmes au coin de l’œil qui pendent au dessus du vide ; on n’explique pas, on ressent, on est tout simplement en contact avec le génie. Et nous comprenons pourquoi nous cherchons tous à écrire comme Rimbaud, que nous l’ayons lu ou non.

« Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j’ai connu le monde, j’ai illustré la comédie humaine. Dans un cellier j’ai appris l’histoire. A quelque fête de nuit dans une cité du Nord, j’ai rencontré toutes les femmes des anciens peintres. Dans un vieux passage à Paris on m’a enseigné les sciences classiques. Dans une magnifique demeure cernée par l’Orient entier j’ai accompli mon immense oeuvre et passé mon illustre retraite. J’ai brassé mon sang. Mon devoir m’est remis. Il ne faut plus songer à cela. Je suis réellement d’outre-tombe, et pas de commissions. »

Génie, c’est aussi son dernier fragment. « Il nous a connus tous et nous a tous aimés. Sachons, cette nuit d’hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au château, de la foule à la plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le héler et le voir, et le renvoyer, et sous les marées et au haut des déserts de neige, suivre ses vues, ses souffles, son corps, son jour. »

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