Préface des Editions de Londres

« J’accuse » est une lettre ouverte d’Emile Zola au président de la République Française, Félix Faure. « J’accuse » fait la Une de L’Aurore le 13 Janvier 1898. Zola entreprend de faire la vérité sur l’Affaire Dreyfus. Le 13 Janvier, L’Aurore décuple son tirage, trois cent mille exemplaires. Suite à cette lettre, Zola sera assigné pour diffamation, jugé, condamné à la prison, ce qui le poussera à s’exiler à Londres, comme Hugo, comme Voltaire, comme Reclus, comme Kropotkine, comme Darien, comme tant d’autres.

Au bilan, nous prétendons que le nom de Zola est au moins autant associé à un des tournants principaux de l’affaire Dreyfus qu’à celui des Rougon-Macquart, et c’est probablement en hommage à ce Zola là, à ses contradictions, mais surtout à son courage politique (puisqu’il en est peut être mort assassiné, nous ne le saurons jamais), que Les Editions de Londres ont choisi d’entamer la publication des œuvres de Zola par l’article « J’accuse ». C’est très tôt, par la lecture de Jean Barois de Roger Martin du Gard, que Les Editions de Londres, découvrent et comprennent l’importance de l’affaire Dreyfus dans l’histoire de France et dans le destin de la France moderne, lente sénescence d’une France déjà inscrite dans un long processus de dégradation à partir du Second Empire.

L’affaire Dreyfus…

On ne va pas la raconter. Il y a des livres, des films, des articles, des ouvrages entiers sur le sujet, et ce n’est vraiment pas le but des Editions de Londres de se lancer dans une exégèse, en tous cas pas aujourd’hui. Pour comprendre l’affaire Dreyfus, il y a d’autres moyens, plus originaux, et peut-être plus simples : il y a Munich, la rafle du Vel’ d’hiv, il y a l’extrême droite française et une partie de la droite française de nos jours, il y a, et ça nous arrache le cœur, mais il faut le dire, il y a les errements de Céline, un des plus grands écrivains qui aient jamais existé, mais aussi un pur produit de l’affaire Dreyfus, puisqu’il naît dans une famille française « normale » (donc antisémite) à l’époque de l’affaire Dreyfus. D’ailleurs, pour rester sur Céline, comment ne pas parler de la controverse de 2011, où le Ministre de la Culture actuel décide de retirer Céline de la liste des personnalités littéraires auxquelles la République (celle qui se réclame de la Troisième ? celle qui organise la rafle du Vel’ d’Hiv ? celle qui met une cinquantaine d’années pour regretter publiquement la déportation des juifs français ?) doit rendre hommage ? D’ailleurs, Les Editions de Londres ont une petite question toute simple pour le Ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, une question pour laquelle elles espèrent ne pas devoir s’exiler à Londres par crainte d’un procès en diffamation (manque de bol, on y est déjà ?!). Cette petite question, la voici : Monsieur le Ministre, vous qui décidâtes de retirer Céline de la liste pour ses « immondes écrits antisémites », l’auriez-vous retiré si ce n’avait été pour les protestations de Serge Klarsfeld ? Est-ce votre conscience ou le Vingt heures qui influe sur vos décisions ? A l’avenir, afin d’éviter ces plaisanteries ubuesques, nous suggérons que la République s’occupe un peu plus de ne pas ruiner la France, et de ne pas en salir l’histoire ainsi que la réputation dans le monde, qu’elle en corrige la corruption et les inégalités ainsi que les sentiments haineux qui y règnent toujours, et qu’elle se mêle un peu moins des écrivains qu’elle doit reconnaître, et qu’aussi, elle cesse de panthéoniser, parce que cela, c’est franchement ridicule.

L’antisémitisme

Dreyfus était juif et alsacien (à l’époque allemand). Or, à cette époque, être juif, c’est un peu être allemand, mais en pire. Pour une sombre histoire de bordereau retrouvé dans une corbeille à papier, on l’accuse d’avoir espionné pour le compte de l’Allemagne. Dreyfus est condamné fin 1894, Zola intervient début 1898, Dreyfus est envoyé au bagne de Guyane, des années avant qu’Albert Londres n’en réclame et n’en obtienne l’abolition, libéré en 1899, mais seulement réhabilité en 1906. C’est une histoire incroyable, où les innocents sont systématiquement condamnés, où les coupables sont en permanence acquittés, mais où des années après la populace continue à regretter qu’on n’ait pas fusillé Dreyfus, ce qui aurait permis d’oublier et de poser un mouchoir pudique sur la chose, comme quoi le bagne a parfois du bon…enfin pas vraiment….En revanche, c’est la preuve qu’il faut toujours, à toutes les époques, passées ou présentes, condamner la peine de mort. On ne peut comprendre la virulence de l’antisémitisme de l’époque si l’on oublie que l’Affaire éclate quarante-cinq ans avant la Seconde Guerre Mondiale. C’était une époque sans tabou où les réactionnaires de tous bords ainsi que les gens de gauche pouvaient étaler leur antisémitisme viscéral et socialement admis sur la place publique. Ne pas être antisémite à l’époque relevait malheureusement de « l’exception » ou presque. Ainsi Zola dans L’Argent : « Il y avait là, en un groupe tumultueux, toute une juiverie malpropre, de grasses faces luisantes, des profils desséchés d’oiseaux voraces, une extraordinaire réunion de nez typiques, rapprochés les uns des autres, ainsi que sur une proie, s’acharnant au milieu de cris gutturaux, et comme prêts de se dévorer entre eux. » Pour une phrase comme celle-là, et il y en a beaucoup d’autres dans son oeuvre, Zola se prenait un procès en incitation à la haine raciale à notre époque, et aussi une remontrance du Ministère de la Culture. Ce que montre Zola, c’est que la recherche de la vérité ne s’embarrasse d’aucune idéologie, quand on est juif ou arabe ou « français », on n’est pas a priori coupable ou innocent, on est soit l’un soit l’autre, soit parfois les deux, après que les faits, et tous les faits aient été exposés, et que la vérité, toute la vérité ait été dite. Rien d’autre.

Donc, aux Editions de Londres, on n’est pas seulement épris de justice, on est très, très Dreyfusard, mais on admire aussi Zola et Céline, et on demande à la République de se mêler un peu moins de ce qui ne la regarde pas, c’est-à-dire donner des petites médailles en fer blanc aux écrivains qui ont bien travaillé, et un peu plus de ce qui la regarde, essayer d’avoir des procès justes, et des élites, politiques, militaires, ou financières un peu moins en collusion, que ce soit au nom de la raison d’Etat, vaste plaisanterie permettant tous les abus, ou au nom de l’argent et des relations.

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