Chapitre III

Digression à propos d’un songe qu’eut à cette époque le vénérable évêque d’Albi.

Avant de poursuivre mon sujet, et pour faire comprendre quels dangers entraîna alors le mépris de l’autorité des Prélats, quand chacun pouvait impunément choisir la secte qu’il préférait, je rapporterai ce que j’ai entendu raconter par le vénérable Père en Dieu, Monseigneur Guillaume, Évêque d’Albi, de sainte mémoire. Il disait qu’autrefois, au milieu de la nuit, son sommeil fut troublé par un songe. Il lui semblait être assis auprès du lit d’un malade, Pierre Guillaume de Berens, son parent. En face de ce lit brûlait un feu ardent, où le malade cherchait à se précipiter. Malgré les questions et la résistance de l’Évêque, qui s’épuisait en inutiles efforts, le moribond rampait toujours pour se jeter dans la fournaise.

Pendant que le Prélat était dans les angoisses de cette vision, voici que tout à coup on frappe à la porte de sa chambre, et que des messagers, qui avaient voyagé la nuit, viennent lui annoncer que ledit Guillaume de Berens est dangereusement malade et réclame sa présence. L’Évêque part aussitôt, ému par ce qu’il a vu en songe, au sujet de ce parent, dont il n’avait pas appris la maladie.

Après trois heures de marche, il arrive et le trouve presque à l’agonie. Il s’assied auprès du lit du malade, et celui-ci lui dit qu’il l’a fait appeler pour le consulter s’il doit laisser à ses deux enfants son héritage indivis, ou le leur partager. L’Évêque lui dit qu’il valait mieux le partager, pour qu’aucun des deux ne cherche à se l’approprier en entier. Ce conseil parut sage, et quand cette affaire fut réglée ainsi que plusieurs autres de même sorte, le Prélat lui demanda ce qu’il décidait pour lui-même, et s’il désirait être inhumé au couvent de Gaillac, ou à Candeille, ou dans l’église d’Albi. – Berens répondit qu’un Évêque n’avait pas à s’inquiéter d’un tel soin, qu’il avait lui-même réfléchi à ce qu’il devait faire. – Comme Monseigneur persistait à lui faire désigner pour sa sépulture l’un des trois endroits ci-dessus nommés, le moribond lui répliqua enfin qu’il voulait être transporté chez les Bononiens ou Bonosiens[Note_8], c’est-à-dire chez les Hérétiques. – Le Prélat s’écria que c’était impossible et qu’il ne pouvait tolérer une telle chose. – « Ne vous embarrassez pas de cela, ajouta Berens, si l’on m’empêche d’y aller autrement, j’irai en rampant sur les mains et sur les pieds. »

À ces mots, l’Évêque, le considérant comme abandonné de Dieu, l’abandonna lui-même, puisque, malgré son titre sacré, il ne pouvait mettre obstacle à sa volonté. – Voilà à quel point de perversité était parvenue l’hérésie, contre laquelle un évêque restait impuissant, même chez un parent et un sujet.