Préface de la série « Enquête d’imaginaire »

Depuis les débuts de la collection « East End », nous avons toujours été étonnés par le nombre de messages que nous recevions et qui nous demandaient si nous étions intéressés par des manuscrits mélangeant polar (ou noir, ou thriller, etc.) et un genre de l’imaginaire. Jusque récemment, nous répondions par la négative, avec une pointe de regret, car d’une part nous ne proposons pas encore de collection dédiée à la SFFF (science-fiction, fantastique, fantasy), et que d’autre part, nous sommes amateurs de littérature de genre. Mais au bout d’un moment, la goutte d’eau a fait déborder le vase, la digue s’est rompue et la passion a pris le dessus sur la raison.

Le défi du mélange des genres

Le mélange des genres n’est pas un exercice facile. Si l’on regarde dans le rétroviseur de la littérature, on s’aperçoit que peu s’y sont essayés. Le grand Isaac Asimov a beaucoup écrit de Science-Fiction (le cycle de Fondation, le cycle des Robots), il a aussi commis un certain nombre de « whodunnits » – en français « qui l’a fait », policiers où l’énigme est prédominante – (le cycle des Veufs noirs), mais il a également expérimenté le mélange des genres avec le cycle de David Starr, écrit sous le pseudonyme de Paul French et plutôt destiné à la jeunesse : il y narre les aventures d’un jeune humain chargé d’enquêter sur les planètes du système solaire pour y résoudre des affaires.

De son côté, l’auteur de Dark Fantasy Glen Cook a mêlé le policier typique des années cinquante avec la fantasy dans sa série de romans Garrett détective privé, qui raconte les enquêtes d’un détective humain dans un monde médiéval-fantastique.

Michaël Cunningham, lauréat du prix Pulitzer de la fiction, a encore tenté autre chose dans son magnifique Livre des jours. Dans un livre en trois parties, il mélange sans mixer : la première partie tient du récit réaliste « historique » quoique teinté d’étrange, la seconde du policier et la troisième de la science-fiction ; la cohésion s’établissant autour de Feuilles d’herbe de Walt Whitman – de la poésie donc.

Comparativement, la télévision semble peut-être plus encline à panacher les genres. On songe notamment à deux séries à succès qui ont réuni le policier et la science-fiction : X-Files et Fringe. Dans chacune d’entre elles, des agents du FBI enquêtent sur des phénomènes paranormaux et découvrent pour les uns l’existence d’une invasion extra-terrestre, et pour les autres celle de soldats venus d’une dimension parallèle puis celle d’explorateurs du temps. Malgré leurs similarités évidentes, les deux séries sont pourtant très différentes, Fringe faisant davantage appel à l’humour et possédant un petit côté steampunk que n’a pas X-Files.

On relève le gant

Notre tour d’horizon ci-dessus n’a bien sûr pas la prétention d’être exhaustif, mais force est de constater que l’exercice reste rare, car risqué. Nous avons même entendu un jour que le mélange des genres ne fonctionnait jamais. Un avis sans doute excessif. Où serait le plaisir des lecteurs, des auteurs et encore des éditeurs s’il n’y avait jamais de prise de risque ? Le risque est excitant, il peut être effrayant mais aussi motivant. L’ennui, ce serait qu’il puisse nous être donné à inventer ou à lire toujours la même chose. D’une certaine manière, ce serait peut-être même dangereux : nous cesserions alors d’évoluer.

Voilà pourquoi, dans cette série « Enquête d’imaginaire », nous vous proposerons des textes un peu différents, qui en captiveront certains, qui en laisseront d’autres de marbres, mais qui, nous l’espérons, en déstabiliseront plus d’un.