Chapitre II.
Comment Pantagruel en l’île de Medamothi acheta plusieurs belles choses.

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L

e premier jour et les deux suivants, il ne leur apparut aucune terre ni autre chose nouvelles, car ils avaient déjà parcouru cette route d’autres fois. Au quatrième jour, ils découvrirent une île nommée Medamothi[Note_95], belle à voir et plaisante à cause du grand nombre des phares et des hautes tours de marbre, dont tout le tour de l’île était orné, et qui n’était pas moins grande que le Canada.

Pantagruel s’enquérant de qui en était le souverain apprit que c’était le roi Philophanes, alors absent pour le mariage de son frère Philotheamon[Note_96] avec l’Infante du royaume d’Engys[Note_97]. Alors, il descendit au port, et pendant que les équipages des navires faisaient le ravitaillement en eau, il contempla divers tableaux, diverses tapisseries, divers animaux, poissons, oiseaux, et autres marchandises exotiques et étrangères, qui étaient dans l’allée du môle, et dans les halles du port. Car c’était le troisième jour de la grande et solennelle foire du lieu, à laquelle venaient tous les ans les plus riches et fameux marchands d’Afrique et d’Asie. Frère Jean y acheta deux rares et précieux tableaux. Sur l’un d’eux était peint le visage d’un homme qui avait perdu son procès, pris sur le vif. Sur l’autre était peint le portrait d’un valet qui cherche un maître, avec toutes les qualités requises : gestes, maintien, minois, allure, physionomie, et désirs, peint et inventé par maître Charles Charmois, peintre du roi Mégiste[Note_98] ; et il les paya en monnaie de singe.

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Panurge acheta un grand tableau peint et transposé de l’ouvrage jadis fait à l’aiguille par Philomela exposant et représentant à sa sœur Progné, comment son beau-frère Tereus l’avait dépucelée et lui avait coupé la langue afin que son crime ne soit pas décelé[Note_99]. Je vous jure par le manche de ce falot[Note_100], que c’était une peinture galante et merveilleuse. Ne pensez pas, je vous prie, que c’était le portrait d’un homme accouplé sur une fille. Cela est trop sot, et trop lourd. La peinture était bien autre, et plus intellectuelle. Vous pourrez la voir à Thélème à gauche en entrant dans la haute galerie.

FIN DE L’EXTRAIT

LE QUART LIVRE
Français du Moyen Âge

Le quart livre des faicts et dictz heroicques
du bon Pantagruel,
composé par M. François Rabelais,
docteur en medicine,
et calloier des isles d’Hieres