Préface des Éditions de Londres

Le « Tiers livre des histoires de Pantagruel » vient dans la suite des romans parodiques de François Rabelais après Pantagruel et Gargantua. Il fut publié pour la première fois en 1546, soit quatorze ans après la publication de Pantagruel. Contrairement aux deux précédents livres, publiés sous le nom d’Alcofribas Nasier, le tiers livre est publié sous le nom de François Rabelais.

Il conserve le caractère comique et l’humour grivois de Pantagruel et Gargantua mais il prend un caractère plus humaniste avec de nombreuses références à l’antiquité.

Comme les deux précédents livres de Rabelais, il sera censuré et jugé obscène par la Sorbonne malgré l’obtention du privilège de parution du roi François 1er, ce qui obligera Rabelais à s’enfuir à Metz où il s’installe comme médecin.

La version des Editions de Londres

La version que nous proposons est l’édition de Rabelais de 1552 telle qu’elle fut reprise par Marty-Laveaux dans son édition de 1870.

Notre adaptation en Français moderne des œuvres de François Rabelais est originale. Comme avec les Essais de Montaigne, il nous a semblé que le moment était venu d’offrir au lecteur moderne une version plus lisible que le Français du Seizième siècle, en cherchant à ce que la version moderne n’éloigne pas le lecteur de l’action et des personnages de l’époque, et qu’elle restitue fidèlement l’incroyable inventivité du langage et des situations rabelaisiennes. Nous avons donc modernisé l’orthographe, traduit les mots incompréhensibles, conservé les néologismes, utilisé des annotations quand c’était nécessaire, respecté le rythme de la phrase du Seizième siècle. Pour nous aider dans cette traduction, nous avons utilisé les notes figurant dans l’édition du Tiers Livre de Le Duchat et Le Motteux (1711), dans celle de Burgaud des Marets et Rathery (1870) et dans celle d’Esmangart et Johanneau de 1823. Notre traduction en français moderne a cherché à fournir un texte agréable à lire en évitant l’effort continuel de déchiffrage du vieux français. On peut ainsi retrouver le plaisir de la lecture que devaient ressentir les contemporains de Rabelais.

Enfin, pour plus de confort de lecture, et parce qu’il s’agit d’une des avancées permises par le livre numérique, notre navigation « paragraphe par paragraphe » permet de passer aisément et de façon fluide d’un paragraphe en Français du Seizième siècle à notre version moderne, ou l’inverse.

Les personnages et les lieux du Tiers Livre

Les anciens commentateurs du Tiers Livre ont souvent cherché à rapprocher les personnages du livre de personnages existants.

Souvent, on pense que Panurge était le Cardinal de Lorraine et Pantagruel, François 1er ou Henri II ou un mélange des deux. Les autres personnages ont aussi été rapprochés d’hommes de l’époque sans qu’il y ait un consensus entre les commentateurs.

De nos jours, beaucoup des noms cités ont été oubliés et ces rapprochements n’ont plus grand intérêt et il vaut mieux rechercher dans le livre une satire comique des mœurs éternelles.

Comme dans Pantagruel et Gargantua, les évènements se déroulent dans les régions de Chinon et de Poitiers auxquelles appartiennent les différentes localités citées.

Le contexte historique

Rabelais publie son livre en 1546. C’est alors les dernières années de François 1er, période de renouveau littéraire. C’est une période de forte pression des impôts pour satisfaire les besoins de guerre et du développement des arts.

C’est l’époque du développement de la Réforme protestante. François 1er dans les dernières années de son règne favorise la répression des protestants et ordonne le massacre des vaudois du Lubéron, survivants des cathares, ralliés aux thèses de Calvin.

En 1545, commence le concile de Trente. Les catholiques souhaitent des réformes dans l’Église, on discute du mariage des prêtres, des indulgences, du consentement du père au mariage,

Résumé du Tiers Livre

Le tiers livre est assez différent de Pantagruel et Gargantua, il ne fait plus référence aux poèmes épiques. Le fait que Pantagruel soit un géant est assez oublié. Il est également beaucoup plus riche en références et citations de l’antiquité.

Dans le tiers livre, Panurge n’est plus le suivant de Pantagruel, mais il se livre à un dialogue contradictoire avec lui. Pantagruel représente la moralité et Panurge l’insouciance.

Au début du Tiers Livre, dans le 1er chapitre, on retrouve Pantagruel qui vient de conquérir le pays de Dipsodie et l’a fait occuper par les Utopiens qui ont apporté leur fidélité et l’ont transmise aux Dipsodes. C’est l’occasion pour Rabelais de donner des conseils aux souverains sur la façon d’occuper un pays.

Les chapitres 2 à 5 traitent des dépenses inutiles et des dettes. On apprend que Panurge a été fait châtelain du riche territoire de Salmigondin (à noter que dans Pantagruel, c’était Alcofribas qui était fait châtelain de Salmigondin) et qu’il a réussi en deux semaines à dilapider en festins et banquets tout l’argent du domaine et emprunter la valeur de trois années de revenus. Panurge fait l’éloge des dettes et souhaite garder les siennes car les créanciers le respectent et s’il n’avait plus de dettes, personne ne s’intéresserait plus à lui. Pantagruel est hostile aux dettes car c’est la fainéantise qui conduit à emprunter au lieu de travailler pour gagner sa vie. Il décide donc de rembourser les dettes de Panurge pour que celui-ci soit « quitte ».

Le chapitre 6 aborde l’idée du mariage en expliquant que les nouveaux mariés étaient dispensés pendant une année de partir à la guerre.

Au chapitre 7, on découvre Panurge qui s’est revêtu d’une simple robe de bure en abandonnant ses hauts de chausses et sa braguette et l’on apprend au chapitre 8 que c’est parce qu’il a l’intention de se marier et de ne pas partir à la guerre.

Les chapitres suivants, presque jusqu’à la fin, vont traiter de l’interrogation de Panurge pour savoir s’il doit ou non se marier, sa crainte étant d’être cocu. Il commence au chapitre 9 par demander conseil à Pantagruel qui lui répond qu’il fasse comme il veut mais sans le convaincre. On va donc par la suite chercher toutes les possibilités pour avoir une prédiction sur les chances du mariage de Panurge.

Dans les chapitres 10 à 12, Pantagruel propose à Panurge d’utiliser les sorts virgiliens pour savoir si son mariage sera heureux. Il s’agit d’interpréter des vers de Virgile tiré au hasard. L’interprétation de Pantagruel est que, s’il se marie, Panurge sera cocu, battu et volé. Mais Panurge les interprète à l’opposé. C’est le même scenario que l’on va retrouver dans les chapitres suivants avec d’autres méthodes de divination. Le scenario se décompose chaque fois en trois phases : l’analyse critique du système de prédiction, l’interprétation négative par Pantagruel, l’interprétation positive et contraire par Panurge.

Dans les chapitres 13 à 15, la prédiction se fait par l’interprétation des songes. Dans les chapitres 16 à 18, Panurge fait appel à la sibylle de Panzoust. Dans les chapitres 19 et 20, il s’adresse à un muet de naissance. Dans les chapitres 21 à 23, il fait appel au vieux poète Raminagrobis qui est sur le point de mourir. Dans le chapitre 24, il demande conseil à Épistémon qui élude sa réponse. Dans le chapitre 25, il visite Herr Trippa qui est spécialiste de toutes les manières de prédiction et qui en dresse le catalogue.

Dans les chapitres 26 à 28, c’est à Frère Jean des Entommeures que s’adresse Panurge, qui lui, en toute amitié, cherche à le persuader de se marier. Il lui explique qu’il ne sera pas cocu s’il honore bien sa femme, et que ce n’est pas trop grave d’être cocu si on ne le sait pas.

Dans le chapitres 29, Pantagruel organise une rencontre avec les maîtres pouvant conseiller Panurge : le théologien Hippothadée, le médecin Rondibilis, le juriste Bridoye et le philosophe Trouillogan. Mais Bridoye sera empêché de venir.

Au chapitre 30, c’est le théologien qui est interrogé, sa réponse est qu’il faut que Panurge se marie s’il en ressent l’envie, et qu’il ne sera pas cocu si dieu le veut.

Aux chapitres 31 à 34, c’est le médecin qui est interrogé. Ses réponses ne sont pas plus claires mais faites en termes savants. Il explique d’abord comment réfréner la concupiscence, puisque c’est dans la nature physique de la femme de faire l’homme cocu. Enfin il explique que c’est la jalousie qui conduit à être cocu. Carpalim et Ponocrate insiste en expliquant que c’est la nature de la femme de faire le contraire de ce qu’on lui demande.

Aux chapitres 35 et 36, c’est Trouillogan qui est interrogé et qui répond à côté des questions sans plus renseigner Panurge.

Les chapitres 37 et 38, puis 45 et 46 concernent la prédiction du fou Triboulet, l’analyse de la prédiction donne les mêmes résultats qu’avec les autres.

Les chapitres 39 à 44 concernent le jugement par la haute cour du juge Bridoye suite à la plainte concernant une de ses sentences. On découvre que Bridoye rendait la justice en tirant au sort par les dés et que son erreur vient de sa vue basse du fait de son âge qui l’a fait se tromper dans la lecture des points. On apprend aussi que bien que ce soit le sort qui décide de la sentence, il faut faire durer le procès pour en dégoûter les plaignants afin qu’ils acceptent mieux la sentence et pour la bonne satisfaction de la justice. Après le procès, Pantagruel se demande si le jugement en tirant au sort n’est pas aussi juste dans bien des cas où la décision n’est pas claire.

Au chapitre 47, Panurge souhaite aller rencontrer l’oracle de la dive bouteille en passant par le pays des lanternes, ce qui annonce le quart livre.

Au chapitre 48 Pantagruel va demander l’autorisation à Gargantua de faire le voyage vers l’oracle de la dive bouteille. Gargantua lui annonce qu’il est temps qu’il se marie et tous les deux défendent la nécessité du consentement des parents pour le mariage contrairement à une pratique de l’Église qui voulait considérer que seul le sacrement donné par le prêtre était nécessaire.

Le livre se termine sur la description du pantagruélion et de ses utilisations. On constate qu’il s’agit du chanvre.

Les critiques de la vie sociale dans le Tiers livre

Sous un aspect comique plein de gouaille, Rabelais aborde la critique de la vie sociale du temps de François premier dans les domaines que l’on trouvait déjà dans Pantagruel et Gargantua.

On retrouve des recommandations au monarque, la question du mariage, , la critique de recours aux prédictions, la critique des moines des médecins et des juristes, la critique des femmes.

Les conseils au monarque

Pantagruel a réussi à se faire aimer en Dipsodie parce qu’il a intégré les Utopiens aux peuples nouvellement conquis et qu’il respecte les Dipsodiens et les traite avec douceur. « La manière d’entretenir et de retenir le pays nouvellement conquis, n’est pas en pillant les peuples, les forçant, les chargeant de corvées, les ruinant, les vexant, et les régissant avec des verges de fer ; bref en mangeant et dévorant les peuples. »

Rabelais reproche au monarque ses dépenses de prestige qui ruinent le pays. « J’entends bien, dit Pantagruel, vous supposez que les gens de peu d’esprit ne sauraient pas dépenser beaucoup en peu de temps. Vous n’êtes pas le premier qui ait conçu cette hérésie. Néron l’affirmait. »

Les sujets du monarque ne peuvent pas supporter une trop grande pression fiscale. « Je vous dis, que si vous imaginez un affronteur effronté et emprunteur importun entrant de nouveau dans une ville déjà avertie de ses mœurs, vous constaterez qu’à son entrée, les citoyens seront plus en effroi et tremblant, que si la peste y entrait toute habillée. »

Le monarque ne doit pas faire des dépenses excessives qui le contraignent à pressurer ses sujets. « D’une si excessive dépense, il se fâcha lorsqu’il dut s’en acquitter, et depuis, il la satisfait à la façon des tyrans et des avocats, par la sueur et le sang de ses sujets. »

En décrivant le Pantagruélion qui sert à faire des cordes de pendus, Rabelais reproche au roi le grand nombre de pendaisons des hérétiques.

Le problème du mariage

Le problème du mariage de Panurge est la trame du Tiers livre. Rabelais pense que l’on doit décider soi-même de se marier ou non. Personne ne peut donner de conseil à ce sujet. « Il veut dire sommairement, que dans l’entreprise de mariage, chacun doit être l’arbitre de ses propres pensées, et prendre conseil de lui-même. Telle a toujours été mon opinion. »

Le mariage ne doit pas se faire sans la volonté des parents contrairement à l’idée que répandait le clergé, que seul le sacrement par le prêtre décidait du mariage. « Je n’ai jamais entendu que par aucune loi, qu’elle fût sacrée, profane ou barbare, il ait été du choix des enfants de se marier, sans le consentement, la volonté et l’encouragement de leurs pères, mères, et parents proches. »

La critique des prédictions

Quelle que soit le type de prédiction, on peut toujours l’interpréter dans des sens opposés. C’est ce que déclare Panurge en lisant les vers de Raminagrobis. « Ventre bœuf, comme il prend soin de ne pas se méprendre dans ses paroles. Il ne répond que par des alternatives. Il ne peut pas ne pas dire vrai. Car pour que ce soit la vérité, il suffit que l’une des parties soit vraie. »

La critique des médecins

Les médecins sont prêts à tout pour recevoir leurs honoraires. « Puis le médecin demandant son salaire, le mari répondit qu’il était vraiment sourd et qu’il n’entendait pas sa demande. Le médecin lui jeta dans le dos, je ne sais quelle poudre, par la vertu de laquelle il devint fou. »

La critique des juristes

Les sentences dans les procès complexes sont largement dues au hasard. C’est pourquoi Bridoye utilise des dés pour déterminer sa sentence. Pantagruel exprime l’idée que le hasard donne peut-être d’aussi bonnes sentences. « Le juge juste se recommanderait humblement à dieu, invoquerait à son aide la grâce céleste, se déchargerait sur l’esprit sacrosaint du hasard et de la perplexité des sentences définitives, et par ce hasard, connaîtrait sa décision et son bon plaisir, que nous appelons Arrêt. »

Les juristes attachent plus d’importance à la forme qu’au fond. Ce qu’il faut c’est qu’il y ait beaucoup de sacs remplis des documents de procédure et on sait que c’est une affaire complexe « lorsqu’il y a beaucoup de sacs d’une part et de l’autre. »

Il faut qu’un procès dure et tout le monde de la justice aime à le faire se développer. « Les sergents, huissiers, appariteurs, procureurs, commissaires, avocats, enquêteurs, tabellions, notaires, greffiers, et juges adjoints suçant bien fort et continuellement les bourses des parties, ajoutent à leurs procès tête, pieds, griffes, bec, dents, mains, veines, artères, nerfs, muscles, humeurs. Ce sont les sacs. »

La justice est théoriquement indépendante mais l’avis du prince est respecté. « Seulement je vous prierai, non à cause de l’obligation que vous prétendez devoir à ma maison, que je ne reconnais pas, mais par l’affection sincère que de toute ancienneté vous avez connue en nous tant deçà que delà la Loire pour maintenir votre état et votre dignité, que, pour cette fois, vous veuillez lui octroyer le pardon. »

Dans tous les chapitres concernant le juge Bridoye, il est fait à chaque phrase référence aux codes de Justinien. Rabelais critique l’utilisation du droit Justinien et préfère l’ancien droit romain. En parlant de Tribonien, principal rédacteur du code Justinien, il dit : « Et ainsi, il leur a découpé en morceaux ces petits bouts et échantillons de lois qu’ils ont en usage, supprimant et abolissant le reste qui formait la totalité de la loi, de peur que, en laissant la loi entière, telle qu’elle se trouvait dans les livres des anciens jurisconsultes, la loi des Douze Tables, et les Édits des préteurs, fût clairement connue au monde sa méchanceté. »

La critique des moines

Les moines ne pensent qu’à boire et à manger. C’est déjà ce qu’on lit dans le prologue. « Des moines encore moins, quoi que tous soient buveurs accomplis, tous vérolés, couverts de croûtes, disposant d’une soif inextinguible et d’une faim insatiable. »

Les moines mendiants sont des bêtes immondes qui ne laissent pas de répit au vieux poète Raminagrobis qui va mourir. « ’ai aujourd’hui, qui est le dernier et de Mai et de moi, chassé hors de ma maison avec beaucoup de fatigue et de difficultés un tas de bêtes vilaines, immondes, et pestilentes, noires, bigarrés, fauves, blanches, cendrées, tachetées ; qui ne voulaient pas me laisser mourir à mon aise et me tiraient de la douce pensée sur laquelle je me reposai en contemplant, et en voyant et déjà en touchant et goûtant le bien, et la félicité, que le bon Dieu a préparé à ses fidèles et ses élus dans l’autre vie en état d’immortalité. »

Et quand Panurge tente de les défendre, ce n’est pas très convaincant. « Mais, par tous les diables ! que lui ont fait, les pauvres diables de Capucins, et de Minimes ? Ne sont-ils pas assez tourmentés, les pauvres diables ? Ne sont-ils pas assez enfumés et parfumés de misère et de calamité, les pauvres pénitents mangeurs de poissons ? »

L’attitude sexiste

À l’époque, se développe la question de la querelle platonicienne pour savoir ce qu’est la femme. « Forgeant la femme, la nature a eu égard à la délectation sociale de l’homme, et à la perpétuité de l’espèce humaine, plus qu’à la perfection de l’individuelle féminité. Certes Platon ne sait pas à quel rang il doit les placer, ou parmi les êtres animés raisonnables, ou parmi les bêtes brutes. »

Le conseil d’une femme est sans intérêt. « Vous avez raison, répondit Épistémon, mais jamais, vous ne me ferez admettre que ce soit une chose très avantageuse, de prendre conseil et avis d’une femme. »

Rondibilis explique que c’est dans la nature de la femme de tromper l’homme. « Ceux-ci (les maris) absents, elles prennent leur avantage, se donnent du bon temps, vaguent, trottent, oublient leur hypocrisie, et se montrent elles-mêmes ; Ainsi sont toutes les femmes : femmes. »

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