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Rui Zink

Le destin du touriste

traduit du portugais par Daniel Matias

Métailié, 2011

La liberté grandit-elle à s'immerger dans l'insécurité ? Greg prend son destin en main. Finies les grandes découvertes, finis les missionnaires, finis les ethnologues. Fini le voyage. Fini le paysage. Fini le touriste. L'heure est au passage de l'autre côté du miroir. L'instant est venu de plonger dans la zone. Jusqu'à la ceinture.

Tenter d'identifier la zone : gageure. Ce conte dépasse l'utopie et l'atopie même. C'est une plongée topique. Le lieu est la zone. La zone est le lieu. Ici et maintenant. Nous y sommes. Nous venons de passer du soi-disant réel au monde virtuel, notre réalité, pas seulement la réalité de Greg.

On nous avait pourtant prévenu. Mais on se rassurait : c'est de la science-fiction. Erewhon, 1984, Mondwest, Race with the Devil et mille autres produits de l'imagination. La science-fiction nous a rattrapés. Mais pas comme les esthètes intellos le pensaient. Monsieur MarketMondial a grossi, grossi, grossi. Et de régime pas question : Monsieur MarketMondial est le Régime Général de l'Assurance de toutes vies.

Conte actuel. Que va-t-il se passer ici et maintenant ?

Greg concentre en lui Ulysse et l'Homme sans qualité. Grégaire lambda, il ne va pas en vacance sans son smartphone. Cela lui permettra, emporté par la foule, de filmer une triple pendaison. « Rien n'excite plus la population mondiale que l'odeur de cadavre » (p57). Guy Debord a théorisé la société du spectacle, Rui Zink l'a fait, dotant sa Personna du slogan de Sony.

Show must go on : match de foot d'enfants unijambistes, piscine d’hôtel nettoyées écologiquement par des piranhas...Passez des vacances de rêves dans un lieu de cauchemar ! Faut bien sortir du quotidien.

Écrit debout en 2008 par un Rui Zink abîmé des lombaires (il le dit, je le redis), couché par Métailié en 2010, mis aux rayons des libraires en 2011, quel sera donc son destin ?

Le pari est pris, mon parti aussi : les soulèvements actuels des peuples de l'Afrique risquent bien, tels que les transmettent les e-tv et autres news media, de transporter, agents littéraires gratuits du coup, nombre d'exemplaires au point H des aéroports, prêts à la consommation. Et sans doute davantage. Bon vol. Détachez vos ceintures. Ici finit la sécurité.

PS : La meilleure destination est celle qui nous fait sentir à la maison (épigraphe de l'édition portugaise)

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Zink suite

Le destin touristique en sept questions.

Rencontre virtuelle avec Rui Zink.

DB. Le titre portugais est : o destino touristico. La traduction en français dit : le destin du touriste. Elle le centre donc sur le héros. Ne peut-on pas traduire aussi par : le destin touristique ? Voire, le destin du tourisme ?

RZ : Bon, c'est un choix de l'Éditeur auquel je fais confiance. Mon Français n'est pas assez fin pour comprendre si l’ambiguïté du titre en Portugais passe exactement de la même manière en Français. Les deux langues ont une racine commune - non, ce n'est pas le Berlusconien - mais diffèrent beaucoup. Il y a même un terme pour les mots et groupes de mots qui semblent dire le même mais le disent pas : des "faux amis". 

Mon titre exploite un double sens de 'destino' : une destination touristique (la Côte d'Azur, le Caire) et un destin (à un 'héros' mais aussi, peut-être, à nous tous, gens du 1er et du 3ème monde, voire de la planète entière. On m'a dit que le sens de destination qui existe dans le Portugais serait perdu

DB. Hors les luso-français, le grand public français ne connaît pas vos livres publiés au Portugal car pas encore traduits. Pourriez-vous les évoquer ou, du moins, en effleurer les thématiques ?

R : Mon premier petit roman, publié il y a 25 ans, est le récit à Lisbonne de deux Candides Américains, donc un regard sur mon "monde à cette époque-là" à travers d'autres yeux que les miens. J'ai toujours été fasciné par la façon dont la perception change la réalité. Je n'ai pas donc tellement changé. Mon roman favori est "O Suplente" (2000), un récit dur sur la perte ultime, celle d'un fils. Je l'ai écrit après être devenu co-fondateur d'une association contre "la mort sur la route", l'Associação dos Cidadãos Auto-Mobilizados", en me rendant compte que, jusqu'aux années 90, la plupart des gens ne se rendaient compte que la route pouvait tuer sauf quand la mort touchait leur porte. Faut le dire (c'est peut-être le destin), le bouquin n'a pas fait un tabac. Changeant de route, en 1997 j'ai publié avec le dessinateur António Jorge Gonçalves un roman graphique, "A Arte Suprema", où nous racontons le fabuleux destin d'Idalina qui, grâce à un soudain "éveillement", d'invisible et "laide" bonne devient, telle chrysalide, super-woman et sauve le monde du désastre. Je suis aussi très fier d'un petit livre pour enfants sur le Sida (voire ci-joint) qu'on a fait ensemble à l'instar de Abraço, une ONG Portugaise. Là le défi était : comment parler aux enfants de ce sujet ? Bref : chacun de mes bouquins est le résultat du stylo que je suis et du papier qu'un espace-temps donné me fourni. Pour moi, c' est très important de comprendre que je ne peux pas parler de ce que je veux, mais de ce que je peux. La seule chose que je peux offrir aux lecteurs c'est ma limitée vision du monde.

2. Quelques mots à propos de la genèse du destin du touriste ?

R : Même si j'écris avec une certaine oisiveté, je laisse parfois les sujets danser longtemps à l’intérieur de moi - parfois des années. Depuis cinq ou sept ans, j'envisageais écrire un petit récit qui ne soit que l'accumulation en style collage des faits divers de guerre et tragédie que je pouvais découper des journaux. J'avais écrit quelques 30 pages mais, comme d'habitude, elles n'allaient nulle part. J'en ai profité, quand-même, pour livrer un petit article sur le kidnapping d'une trentaine d'Hollandais par les Tigres Tamil. Il m'est arrivé plus d'une fois d'avoir le sujet mais pas la forme pour l'attraper. La tortue mais pas le casque. Pour un journaliste, l'important c'est le contenu, ou la rose, pour l'écrivain que je suis il faut la forme.

DB. Çà et là, on vous situe dans la catégorie de satiriste ? Classer est parfois une maladie, souvent une réduction. Le destin du touriste ne déborde-t-il pas largement la satire seule ? Le lecteur peut sentir dans les dernières pages du livre une sorte d'accélération, de multiplication des points de vue. Une impression de brouillage et de désordre désoriente la forme même. Souhaitiez-vous induire des zones de turbulences finales ?

RZ : Il y a un long chapitre d'environ 100 pages complètement linéaire. Où tout va dans la même direction. Si on peut dire quelque chose, c'est que c’est facile à suivre. Notre vision du monde est confirmée comme elle l'est généralement tous les jours par tous les médias. "Les Japonais sont polis même dans le désastre", "Kadhafi est un fou mais il est notre fou et nous protège des immigrants", "L'Afghanistan c'est le bordel"... Depuis des années dans la fiction on abuse trop des analepses et prolepses et changements de points de vue. Alors je les ai gardées pour le moment opportun. Je ne trompe jamais le lecteur, c'est le lecteur qui en décide. À la fin, oui, certains chapitres n'ont que deux pages. C'est comme si pendant un long diner le lecteur avait en main un verre et, soudainement, tard dans le repas, le verre tombe et étincelles. 

DB. La meilleure destination est celle qui nous fait sentir à la maison (épigraphe de l'édition portugaise). Conseilleriez-vous à vos lecteurs de rester chez eux bien au chaud pour lire votre livre ?

RZ : Le lecteur portugais sait déjà que (pour citer Lucky Luke) j'ai la langue fourchée, et ne prends pas une phrase comme celle-là au 1er degré. À mon avis, elle pourrait bien être un slogan pour une sorte de Club Med. Je sais que votre question est pleine d'humour mais c'est toujours risqué de faire à un lecteur autre chose que de le/la remercier sa générosité en choisissant de danser avec nous pour quelques heures. 

DB. Einfühlung : sensation de chez soi – chez l'autre. Ce concept sympathique d'empathie bien comprise ne risque-t-il, après avoir plongé dans votre livre, de retourner Worringer dans sa tombe ? Car si nul ne sort complètement indemne de la zone (touristique), peu de lecteurs quitteront votre livre en toute quiétude, non ?

RZ : Ça c'est toujours le rêve d'un écrivain : d’inquiéter l'esprit des lecteurs, de leur faire cadeau d'un moment bien passé mais aussi de les laisser "en trouble", de les forcer à "répondre" au livre. Comme votre Houellebecq, j'ai mon petit côté punk, des fois ça me donne un petit plaisir d'être détesté. Des fois l'artiste adolescent en moi pense que c'est ça le vrai Nobel. Hélas, cela n'arrive pas souvent aujourd'hui, d'arriver à troubler les esprits au même temps qu'on les amuse. Et il faut, je crois, trouver le blâme dans les deux parties de l'échiquier, auteur (oui) mais aussi lecteur. Sommes-nous encore disponibles à être troublés dans nos idées reçues ? 

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