Biographie de l’Auteur

img003.jpg

Edgar Allan Poe, (1809-1849) né à Boston, mort à Baltimore, est un écrivain, essayiste, poète et critique littéraire américain. Il est surtout connu pour ses contes, traduits en France par Charles Baudelaire. Certains le considèrent comme l’un des plus grands auteurs américains, d’autres comme l’un des pères du romantisme américain. D’autres disent que Poe traduit en français, c’est justement du Charles Baudelaire. Beaucoup plus controversé aux Etats-Unis qu’en France, tous s’accordent à reconnaître l’extraordinaire influence qu’il exerça sur le roman policier, le fantastique, la science-fiction et l’art du récit court en général.

Biographie

Edgar Allan Poe est né à Boston le 19 Janvier 1809. Sa mère est la fille de deux comédiens anglais, son père vient d’une famille de commerçants irlandais. Son père et sa mère sont acteurs ambulants, et c’est au cours d’une tournée à New York, que son père, alcoolique, tuberculeux, meurt, alors qu’Edgar est âgé de quelques mois. En 1811, à Richmond, tandis qu’elle fait une tournée dans le sud, sa mère meurt à son tour. Edgar reste constamment auprès de sa mère durant son agonie, qui durera quatre mois. On dit que cette relation fusionnelle avec sa mère et la disparition dont il fut le premier témoin influenceront grandement sa vie et son art. Peut être est-ce cette douleur, ce traumatisme d’enfant, qui feront de lui cet être déchiré, frustré, ambitieux, malheureux, et cet écrivain à l’imagination fertile mais au style sur travaillé, contrôlé à l’excès ? Orphelin, Edgar est recueilli par une famille de négociants de tabac de Richmond, les Allan. Né dans le Nord, il passe sa jeunesse dans le Sud, où il est élevé comme un patricien.

Entre 1815 et 1820, il suit sa famille adoptive en Grande-Bretagne où il fait des études classiques plutôt brillantes. Très tôt, Edgar montre une certaine difficulté à la vie sociale ; d’un caractère dur, il est à la fois rêveur et solitaire, irritable et colérique. Ses relations avec sa famille adoptive deviennent tendues. Entre son père et sa mère adoptive, il prend le parti de sa mère.

Edgar commence à écrire, d’abord des poèmes. Il lit Virgile, Ovide, Cicéron, il est influencé par Lord Byron. Mais les relations avec son père adoptif se détériorent. Tout en suivant toujours une éducation brillante, Edgar contracte des dettes de jeu. Le père adoptif, John Allan, refuse de payer les frais de l’Université, sabote les fiançailles d’Edgar et d’une jeune femme dont il était amoureux, Elmira Royster. A l’âge de dix-huit ans, Edgar s’en va. Il s’embarque sur un bateau sous un faux nom, puis encore sous un autre nom, il s’engage comme artilleur dans l’armée. Il voyage en Caroline, est stationné sur l’île Sullivan, qui servira de décor au Scarabée d’or, part en Virginie et finalement quitte l’armée. C’est à la même époque que le « militaire poète » publie à compte d’auteur un recueil de poèmes, Tamerlan.

En 1829, sa mère adoptive meurt. Il se réconcilie puis se brouille de nouveau avec son père adoptif. Il cherche son soutien avant de démissionner de l’armée puis d’intégrer West Point. Il finit par y être accepté, au début il y fait de brillantes études, puis il s’en fait renvoyer. Alors, fils de comédiens ambulants du Massachusetts, patricien virginien, adolescent en Angleterre, traumatisé par la mort de sa mère, puis par celle de sa mère adoptive, élevé sans père, en conflit avec son père adoptif, séparé de celle qu’il aime par le même père, brillant, difficile, asocial, attiré par les lettres classiques, poète, mais tenté à la fois par la carrière militaire, Edgar Allan est à la recherche d’une identité, d’un ancrage. Sa place, il la trouvera dans la littérature. Il laissera une œuvre originale, cohérente, d’une remarquable influence. Mais il ne connaîtra pas la gloire de son vivant.

Carrière littéraire

Il retourne à Baltimore, et éprouve beaucoup de difficultés à se faire publier ou à trouver le succès. Pour ne pas mourir de faim, il est aussi journaliste, pigiste. En 1835, il obtient enfin un poste comme critique littéraire au Southern Literary Messenger. Il s’attaque à des talents célébrés par la critique mais qui lui semblent usurpés. Il se marie, quitte le journal, on lui reproche son alcoolisme, et il publie Les aventures d’Arthur Gordon Pym qui n’obtient aucun succès. Puis il publie La chute de la maison Usher avec le Gent’s Mag. En 1840, il fonde son propre journal littéraire, le Pen Magazine. Puis en 1841 il rejoint le Graham’s Gentleman’s magazine ; il y gagne sa vie, s’attaque aux cercles littéraires dominants de New York et de Boston. Puis il rencontre Charles Dickens, évoque avec lui la protection du droit d’auteur international (à l’époque, en l’absence d’une protection juridique claire, les livres anglais étaient publiés libres de droit aux Etats-Unis ; c’est d’ailleurs ainsi que des grosses maisons d’édition américaines firent fortune, en piratant les œuvres d’auteurs anglais célèbres, et ce sont les mêmes qui sont maintenant les plus ardents défenseurs du copyright… ; c’est embêtant, l’ignorance de l’histoire…). Afin de concilier besoins financiers et volonté d’écrire, il cherche à entrer dans l’administration, mais il n’y parvient pas. En 1845, il publie le poème Le corbeau, probablement le plus grand succès de son vivant. Sa femme Virginia meurt en 1847, il écrit Euréka ou Essai sur l’univers matériel et spirituel, un ouvrage qu’il considère comme l’un de ses plus importants. Il a des problèmes avec l’alcool. Ses conférences sur Le principe poétique rencontrent un grand succès : la première à Providence, puis la seconde à Richmond. En 1849, il meurt dans des conditions mystérieuses : on le retrouve ivre, battu et dans des vêtements qui ne sont pas les siens.

La théorie de l’effet unique

Il développe ses principales théories esthétiques et littéraires dans The philosophy of composition, traduit en France sous le titre Genèse d’un poème. C’est là qu’il explique la théorie de l’effet unique : le but de l’art est esthétique avant tout. Ainsi, le texte doit tendre vers sa propre réalisation, sans digressions, le texte n’a pas de rôle moral. C’est pour cela que Poe a finalement fait si peu de romans, et autant de contes ; le conte ou la nouvelle lui semblent appropriées à son projet littéraire et esthétique, la recherche d’une certaine forme d’harmonie, de perfection, par l’organisation de tous les éléments du texte vers un équilibre parfait, d’où tous les aspects non essentiels et nécessaires auraient été gommés. En cela très inspiré par les théories esthétiques d’un Aristote, nous pensons, il rejette l’hubris ou la fancy, c'est-à-dire l’imagination débridée, non contrôlée, laissée à elle-même et portée par son propre flux, au détriment de la recherche d’une forme de perfection et d’unité presque originelles. Tout doit donc tendre vers un but, une intrigue solide comme un câble métallique, autour duquel les personnages, les enchaînements tendent, agrémentés par un style homogène.

Le travail et le style de Poe

Quelles en sont les principales caractéristiques ? Poe est l’ennemi du spontané, de l’improvisation. Il n’hésite pas à reprendre son texte de nombreuses fois, afin d’arriver au résultat escompté, celui d’un texte où toute hésitation, élan non contrôlé de l’auteur aura été enlevé. Le texte, un peu à la manière classique, existe en soi. Tout travail vise à éliminer l’inutile, à resserrer le texte au maximum. Son caractère obsessionnel se manifeste aussi dans la tendance qu’il avait à reprendre ses textes déjà publiés en vue d’une réédition. En cela, Poe s’inscrit à l’opposé des grands romanciers fleuve ou feuilletonesques du Dix Neuvième siècle. Poe utilise beaucoup de mots complexes, d’origine latine, des mots polysyllabiques peu employés dans la langue anglaise, « phantasmagoric » plutôt que « strange » « spurious » plutôt que « fake », etc… Ensuite, ses phrases sont longues, parfois compliquées, les formules un peu alambiquées visent à la création d’une ambiance. Il utilise aussi de répétitions fréquentes, une multiplicité d’adjectifs, empruntant ainsi à la littérature anglaise plus classique, des images parfois surprenantes, nombreuses, qui tout en renforçant l’ambiance, tendent à alourdir la lecture.

La littérature américaine à l’époque de Poe

A l’époque, il n’existe pas de littérature américaine constituée. La seule forme de littérature nationale qui existait à l’époque, c’était des romans de la prairie comme Fenimore Cooper ou encore Washington Irving. Il existait aussi une mode des récits fantastiques, d’angoisse ou d’horreur, popularisés en partie par le Blackwood magazine, et influencés par le romantisme anglais de Ann Radcliffe, Shelley, ou Byron. L’ambition de Poe était de créer une véritable littérature nationale. Tout en restant très influencé par le Romantisme anglais, il voulait se démarquer de l’influence européenne sur la littérature américaine.

La cosmogonie de Poe : Eureka

Poe a produit d’importants écrits théoriques, influencés par Coleridge et Schlegel. Pour comprendre les conceptions littéraires précédemment exposées, il faut comprendre sa vision cosmogonique, exposée dans Euréka, fondée principalement sur l’intuition d’une unicité primordiale de l’univers. Il évoque une particule originelle, d’origine divine, à partir de laquelle la diversité présente du monde que nous avons sous les yeux se serait développée. Il anticipe, tout en multipliant les approximations et les erreurs scientifiques, le Big Bang, les trous noirs, il imagine que la mort n’existe pas vraiment, rejoignant ainsi une forme de transcendantalisme, et par ce travail, élève l’intuition poétique au dessus du rationalisme scientifique.

Poe et Charles Baudelaire

Poe a transformé Charles Baudelaire et Charles Baudelaire a transformé Poe. On dit que Baudelaire, lorsqu’il découvrit Poe, crut reconnaître dans ces textes certaines des images et des idées qu’il aurait eues par le passé. La réalité, c’est que Baudelaire développa une véritable passion, une obsession pour Poe, qu’il consacra dix-sept ans à la traduction de ses œuvres et qu’il ressentit, suite au premier choc de la découverte de l’œuvre de Poe, une affinité profonde entre sa poésie et les contes de l’américain. Sa vie difficile, sa pauvreté, l’alcoolisme, la dépression, tout ceci l’influence, lui offrent un modèle, et qui sait une raison d’être ?. Là naît une relation fusionnelle d’outre tombe, qui influencera grandement l’art de Baudelaire .

Mais  Baudelaire transformera aussi Poe. Baudelaire n’est pas un traducteur professionnel. Baudelaire n’a pas non plus à l’époque la formidable maîtrise de l’anglais que l’on lui suppose. Et si Baudelaire ne modifiera rien à l’intrigue, à la solidité du texte, il renforcera l’ambiance en apportant une poésie parfois manquant un peu dans l’original. Ainsi, aux  forces de l’original, ambiance, logique, homogénéité, unicité d’intrigue, absence de digressions, imagination créatrice, grande originalité des thèmes, fantastique, policier, angoisse et suspense, horreur, symbolisme gothique, post chrétien, romantique, Baudelaire a ajouté une langue moins sèche, moins désincarnée, plus poétique, et Baudelaire a créé un Poe différent, dont l’influence sur le public français fut telle que Mallarmé lui aussi décida de le traduire, Lacan l’étudia, Marie Bonaparte en fit la psychanalyse… Mais c’est aussi la traduction et l’enthousiasme de Baudelaire pour l’auteur américain qui expliquent une autre des caractéristiques de l’héritage de Poe : l’existence de deux Poe littéraires, le Poe américain et le Poe français.

Image en France, image aux Etats-Unis

Ce fut l’une des grandes surprises d’un des premiers voyages américains des Editions de Londres, il y a de nombreuses années : la rencontre avec un professeur de littérature américaine qui sourit de mon enthousiasme pour Poe. Et maintenant, je comprends mieux. Poe est un auteur bien plus riche et complexe que ses détracteurs veuillent bien l’admettre. Et des détracteurs, aux Etats-Unis, il en a. Il suscite l’admiration de même qu’une certaine complaisance. En France, comme il a été réincarné par Baudelaire, il est hors de question, voire inintéressant d’en faire la critique. Mais aux Etats-Unis, ce n’est pas pareil. Et pourtant, si l’on s’intéresse de près aux critiques américaines, certaines raisonnables, d’autres franchement stupides, elles ont une certaine cohérence. Les admirateurs de Poe dans le monde anglophone sont souvent des non littéraires ou eux-mêmes des marginaux de la littérature, Hitchcock, Oscar Wilde, Lovecraft : ce sont l’ambiance et les histoires qui les influencent. Ses critiques s’en prennent au style, à la langue, débat totalement ignoré en France, et pour cause, Baudelaire. Mais, dans un débat si marqué entre les Américains et les Français, il faut probablement se tourner ailleurs pour trouver le mot de la fin, et ce n’est pas Jorge Luis Borgès, qui l’appréciait beaucoup et dont la langue parfois ésotérique et un peu désincarnée présente certaines vagues analogies avec celle de Poe ; c’est Fedor Dostoïevski qui, dans sa Préface aux trois récits d’Edgar Poe, compare le fantastique romantique de Hoffmann au fantastique matériel de Poe, dont il loue « l’art de suggérer le caractère plausible d’évènements surnaturels ».

L’influence de Poe

Tous s’accordent là-dessus : l’influence de Poe sur la littérature et l’art en général est tout bonnement extraordinaire.

Poe jette les bases du roman policier avec Dupin, qui influencera Conan Doyle. Il fonde les bases de la science fiction, influençant ainsi H.G. Wells, celles du roman d’aventures que reprendront Jules Verne, ou Stevenson, il créée le héros déchiré, introspectif qui influencera Dostoïevski…

En France, en Angleterre, aux Etats-Unis ou ailleurs, Poe est incontournable ; découvrons le dans cette édition bilingue.

© 2012- Les Editions de Londres

Double assassinat dans la rue Morgue
Traduction de Charles Baudelaire

[E]

Quelle chanson chantaient les sirènes ? Quel nom Achille avait-il pris, quand il se cachait parmi les femmes ? — Questions embarrassantes, il est vrai, mais qui ne sont pas situées au delà de toute conjecture.
Sir Thomas Browne.

[E]

Les facultés de l’esprit qu’on définit par le terme analytiques sont en elles-mêmes fort peu susceptibles d’analyse. Nous ne les apprécions que par leurs résultats. Ce que nous en savons, entre autres choses, c’est qu’elles sont pour celui qui les possède à un degré extraordinaire une source de jouissances des plus vives. De même que l’homme fort se réjouit dans son aptitude physique, se complaît dans les exercices qui provoquent les muscles à l’action, de même l’analyse prend sa gloire dans cette activité spirituelle dont la fonction est de débrouiller. Il tire du plaisir même des plus triviales occasions qui mettent ses talents en jeu. Il raffole des énigmes, des rébus, des hiéroglyphes ; il déploie dans chacune des solutions une puissance de perspicacité qui, dans l’opinion vulgaire, prend un caractère surnaturel. Les résultats, habilement déduits par l’âme même et l’essence de sa méthode, ont réellement tout l’air d’une intuition.

[E]

Cette faculté de résolution tire peut-être une grande force de l’étude des mathématiques, et particulièrement de la très haute branche de cette science, qui, fort improprement et simplement en raison de ses opérations rétrogrades, a été nommée l’analyse, comme si elle était l’analyse par excellence. Car, en somme, tout calcul n’est pas en soi une analyse. Un joueur d’échecs, par exemple, fait fort bien l’un sans l’autre. Il suit de là que le jeu d’échecs, dans ses effets sur la nature spirituelle, est fort mal apprécié. Je ne veux pas écrire ici un traité de l’analyse, mais simplement mettre en tête d’un récit passablement singulier, quelques observations jetées tout à fait à l’abandon et qui lui serviront de préface.

[E]

Je prends donc cette occasion de proclamer que la haute puissance de la réflexion est bien plus activement et plus profitablement exploitée par le modeste jeu de dames que par toute la laborieuse futilité des échecs. Dans ce dernier jeu, où les pièces sont douées de mouvements divers et bizarres, et représentent des valeurs diverses et variées, la complexité est prise — erreur fort commune — pour de la profondeur. L’attention y est puissamment mise en jeu. Si elle se relâche d’un instant, on commet une erreur, d’où il résulte une perte ou une défaite. Comme les mouvements possibles sont, non seulement variés, mais inégaux en puissance, les chances de pareilles erreurs sont très multipliées ; et dans neuf cas sur dix, c’est le joueur le plus attentif qui gagne et non pas le plus habile. Dans les dames, au contraire, où le mouvement est simple dans son espèce et ne subit que peu de variations, les probabilités d’inadvertance sont beaucoup moindres, et l’attention n’étant pas absolument et entièrement accaparée, tous les avantages remportés par chacun des joueurs ne peuvent être remportés que par une perspicacité supérieure.

Pour laisser là ces abstractions, supposons un jeu de dames où la totalité des pièces soit réduite à quatre dames, et où naturellement il n’y ait pas lieu de s’attendre à des étourderies. Il est évident qu’ici la victoire ne peut être décidée, — les deux parties étant absolument égales, — que par une tactique habile, résultat de quelque puissant effort de l’intellect. Privé des ressources ordinaires, l’analyste entre dans l’esprit de son adversaire, s’identifie avec lui, et souvent découvre d’un seul coup d’œil l’unique moyen — un moyen quelquefois absurdement simple — de l’attirer dans une faute ou de le précipiter dans un faux calcul.

[E]

On a longtemps cité le whist pour son action sur la faculté du calcul ; et on a connu des hommes d’une haute intelligence qui semblaient y prendre un plaisir incompréhensible et dédaigner les échecs comme un jeu frivole. En effet, il n’y a aucun jeu analogue qui fasse plus travailler la faculté de l’analyse. Le meilleur joueur d’échecs de la chrétienté ne peut guère être autre chose que le meilleur joueur d’échecs ; mais la force au whist implique la puissance de réussir dans toutes les spéculations bien autrement importantes où l’esprit lutte avec l’esprit.

Quand je dis la force, j’entends cette perfection dans le jeu qui comprend l’intelligence de tous les cas dont on peut légitimement faire son profit. Ils sont non seulement divers, mais complexes, et se dérobent souvent dans des profondeurs de la pensée absolument inaccessibles à une intelligence ordinaire.

Observer attentivement, c’est se rappeler distinctement ; et, à ce point de vue, le joueur d’échecs capable d’une attention très intense jouera fort bien au whist, puisque les règles de Hoyle, basées elles-mêmes sur le simple mécanisme du jeu, sont facilement et généralement intelligibles.

[E]

Aussi, avoir une mémoire fidèle et procéder d’après le livre sont des points qui constituent pour le vulgaire le summum du bien jouer. Mais c’est dans les cas situés au-delà de la règle que le talent de l’analyste se manifeste ; il fait en silence une foule d’observations et de déductions. Ses partenaires en font peut-être autant ; et la différence d’étendue dans les renseignements ainsi acquis ne gît pas tant dans la validité de la déduction que dans la qualité de l’observation. L’important, le principal est de savoir ce qu’il faut observer. Notre joueur ne se confine pas dans son jeu, et, bien que ce jeu soit l’objet actuel de son attention, il ne rejette pas pour cela les déductions qui naissent d’objets étrangers au jeu. Il examine la physionomie de son partenaire, il la compare soigneusement avec celle de chacun de ses adversaires. Il considère la manière dont chaque partenaire distribue ses cartes ; il compte souvent, grâce aux regards que laissent échapper les joueurs satisfaits, les atouts et les honneurs, un à un. Il note chaque mouvement de la physionomie, à mesure que le jeu marche, et recueille un capital de pensées dans les expressions variées de certitude, de surprise, de triomphe ou de mauvaise humeur. À la manière de ramasser une levée, il devine si la même personne en peut faire une autre dans la suite. Il reconnaît ce qui est joué par feinte à l’air dont c’est jeté sur la table. Une parole accidentelle, involontaire, une carte qui tombe, ou qu’on retourne par hasard, qu’on ramasse avec anxiété ou avec insouciance ; le compte des levées et l’ordre dans lequel elles sont rangées ; l’embarras, l’hésitation, la vivacité, la trépidation, — tout est pour lui symptôme, diagnostic, tout rend compte à cette perception, — intuitive en apparence, — du véritable état des choses. Quand les deux ou trois premiers tours ont été faits, il possède à fond le jeu qui est dans chaque main, et peut dès lors jouer ses cartes en parfaite connaissance de cause, comme si tous les autres joueurs avaient retourné les leurs.

[E]

La faculté d’analyse ne doit pas être confondue avec la simple ingéniosité ; car, pendant que l’analyste est nécessairement ingénieux, il arrive souvent que l’homme ingénieux est absolument incapable d’analyse. La faculté de combinaison, ou constructivité, par laquelle se manifeste généralement cette ingéniosité, et à laquelle les phrénologues — ils ont tort, selon moi, — assignent un organe à part, — en supposant qu’elle soit une faculté primordiale, a paru dans des êtres dont l’intelligence était limitrophe de l’idiotie, assez souvent pour attirer l’attention générale des écrivains psychologistes. Entre l’ingéniosité et l’aptitude analytique, il y a une différence beaucoup plus grande qu’entre l’imaginative et l’imagination, mais d’un caractère rigoureusement analogue. En somme, on verra que l’homme ingénieux est toujours plein d’imaginative, et que l’homme vraiment imaginatif n’est jamais autre chose qu’un analyste.

[E]

Le récit qui suit sera pour le lecteur un commentaire lumineux des propositions que je viens d’avancer.

Je demeurais à Paris, — pendant le printemps et une partie de l’été de 18.., — et j’y fis la connaissance d’un certain C. Auguste Dupin. Ce jeune gentleman appartenait à une excellente famille, une famille illustre même ; mais, par une série d’événements malencontreux, il se trouva réduit à une telle pauvreté, que l’énergie de son caractère y succomba, et qu’il cessa de se pousser dans le monde et de s’occuper du rétablissement de sa fortune. Grâce à la courtoisie de ses créanciers, il resta en possession d’un petit reliquat de son patrimoine ; et, sur la rente qu’il en tirait, il trouva moyen, par une économie rigoureuse, de subvenir aux nécessités de la vie, sans s’inquiéter autrement des superfluités. Les livres étaient véritablement son seul luxe, et à Paris on se les procure facilement.

[E]

Notre première connaissance se fit dans un obscur cabinet de lecture de la rue Montmartre, par ce fait fortuit que nous étions tous deux à la recherche d’un même livre, fort remarquable et fort rare ; cette coïncidence nous rapprocha. Nous nous vîmes toujours de plus en plus. Je fus profondément intéressé par sa petite histoire de famille, qu’il me raconta minutieusement avec cette candeur et cet abandon, — ce sans-façon du moi, — qui est le propre de tout Français quand il parle de ses propres affaires.

Je fus aussi fort étonné de la prodigieuse étendue de ses lectures, et par-dessus tout je me sentis l’âme prise par l’étrange chaleur et la vitale fraîcheur de son imagination. Cherchant dans Paris certains objets qui faisaient mon unique étude, je vis que la société d’un pareil homme serait pour moi un trésor inappréciable, et dès lors je me livrai franchement à lui. Nous décidâmes enfin que nous vivrions ensemble tout le temps de mon séjour dans cette ville ; et, comme mes affaires étaient un peu moins embarrassées que les siennes, je me chargeai de louer et de meubler, dans un style approprié à la mélancolie fantasque de nos deux caractères, une maisonnette antique et bizarre que des superstitions dont nous ne daignâmes pas nous enquérir avaient fait déserter, tombant presque en ruine, et située dans une partie reculée et solitaire du faubourg Saint-Germain.

[E]

Si la routine de notre vie dans ce lieu avait été connue du monde, nous eussions passé pour deux fous, — peut-être pour des fous d’un genre inoffensif. Notre réclusion était complète ; nous ne recevions aucune visite. Le lieu de notre retraite était resté un secret, soigneusement gardé, pour mes anciens camarades ; il y avait plusieurs années que Dupin avait cessé de voir du monde et de se répandre dans Paris. Nous ne vivions qu’entre nous.

[E]

Mon ami avait une bizarrerie d’humeur, — car comment définir cela ? — c’était d’aimer la nuit pour l’amour de la nuit ; la nuit était sa passion ; et je tombai moi-même tranquillement dans cette bizarrerie, comme dans toutes les autres qui lui étaient propres, me laissant aller au courant de toutes ses étranges originalités avec un parfait abandon. La noire divinité ne pouvait pas toujours demeurer avec nous ; mais nous en faisions la contrefaçon. Au premier point du jour, nous fermions tous les lourds volets de notre masure, nous allumions une couple de bougies fortement parfumées, qui ne jetaient que des rayons très faibles et très pâles. Au sein de cette débile clarté, nous livrions chacun notre âme à ses rêves, nous lisions, nous écrivions, ou nous causions, jusqu’à ce que la pendule nous avertît du retour de la véritable obscurité. Alors, nous nous échappions à travers les rues, bras dessus bras dessous, continuant la conversation du jour, rôdant au hasard jusqu’à une heure très avancée, et cherchant à travers les lumières désordonnées et les ténèbres de la populeuse cité ces innombrables excitations spirituelles que l’étude paisible ne peut pas donner.

[E]

Dans ces circonstances, je ne pouvais m’empêcher de remarquer et d’admirer, — quoique la riche idéalité dont il était doué eût dû m’y préparer, — une aptitude analytique particulière chez Dupin. Il semblait prendre un délice âcre à l’exercer, peut-être même à l’étaler, et avouait sans façon tout le plaisir qu’il en tirait. Il me disait à moi, avec un petit rire tout épanoui, que bien des hommes avaient pour lui une fenêtre ouverte à l’endroit de leur cœur, et d’habitude il accompagnait une pareille assertion de preuves immédiates et des plus surprenantes, tirées d’une connaissance profonde de ma propre personne.

Dans ces moments-là, ses manières étaient glaciales et distraites ; ses yeux regardaient dans le vide, et sa voix, — une riche voix de ténor, habituellement, — montait jusqu’à la voix de tête ; c’eût été de la pétulance, sans l’absolue délibération de son parler et la parfaite certitude de son accentuation. Je l’observais dans ses allures, et je rêvais souvent à la vieille philosophie de l’âme double, — je m’amusais à l’idée d’un Dupin double, — un Dupin créateur et un Dupin analyste.

[E]

Qu’on ne s’imagine pas, d’après ce que je viens de dire, que je vais dévoiler un grand mystère ou écrire un roman. Ce que j’ai remarqué dans ce singulier Français était simplement le résultat d’une intelligence surexcitée, malade peut-être. Mais un exemple donnera une meilleure idée de la nature de ses observations à l’époque dont il s’agit.

Une nuit, nous flânions dans une longue rue sale, avoisinant le Palais-Royal. Nous étions plongés chacun dans nos propres pensées, en apparence du moins, et, depuis près d’un quart d’heure, nous n’avions pas soufflé une syllabe. Tout à coup Dupin lâcha ces paroles :

— C’est un bien petit garçon, en vérité ; et il serait mieux à sa place au théâtre des Variétés.

[E]

— Cela ne fait pas l’ombre d’un doute, répliquai-je sans y penser et sans remarquer d’abord, tant j’étais absorbé, la singulière façon dont l’interrupteur adaptait sa parole à ma propre rêverie.

Une minute après, je revins à moi, et mon étonnement fut profond.

— Dupin, dis-je très gravement, voilà qui passe mon intelligence. Je vous avoue, sans ambages, que j’en suis stupéfié et que j’en peux à peine croire mes sens. Comment a-t-il pu se faire que vous ayez deviné que je pensais à… ?

Mais je m’arrêtai pour m’assurer indubitablement qu’il avait réellement deviné à qui je pensais.

[E]

— À Chantilly ? dit-il ; pourquoi vous interrompre ? Vous faisiez en vous-même la remarque que sa petite taille le rendait impropre à la tragédie.

C’était précisément ce qui faisait le sujet de mes réflexions. Chantilly était un ex-savetier de la rue Saint-Denis qui avait la rage du théâtre, et avait abordé le rôle de Xerxès dans la tragédie de Crébillon ; ses prétentions étaient dérisoires : on en faisait des gorges chaudes.

— Dites-moi, pour l’amour de Dieu ! La méthode — si méthode il y a — à l’aide de laquelle vous avez pu pénétrer mon âme, dans le cas actuel !

En réalité, j’étais encore plus étonné que je n’aurais voulu le confesser.

[E]

— C’est le fruitier, répliqua mon ami, qui vous a amené à cette conclusion que le raccommodeur de semelles n’était pas de taille à jouer Xerxès et tous les rôles de ce genre.

— Le fruitier ! Vous m’étonnez ! Je ne connais de fruitier d’aucune espèce.

— L’homme qui s’est jeté contre vous, quand nous sommes entrés dans la rue, il y a peut-être un quart d’heure.

Je me rappelai alors qu’en effet un fruitier, portant sur sa tête un grand panier de pommes, m’avait presque jeté par terre par maladresse, comme nous passions de la rue C… dans l’artère principale où nous étions alors. Mais quel rapport cela avait-il avec Chantilly ? Il m’était impossible de m’en rendre compte.

[E]

Il n’y avait pas un atome de charlatanerie dans mon ami Dupin.

— Je vais vous expliquer cela, dit-il, et, pour que vous puissiez comprendre tout très clairement, nous allons d’abord reprendre la série de vos réflexions, depuis le moment dont je vous parle jusqu’à la rencontre du fruitier en question. Les anneaux principaux de la chaîne se suivent ainsi : Chantilly, Orion, le docteur Nichols, Épicure, la stéréotomie, les pavés, le fruitier.

Il est peu de personnes qui ne se soient amusées, à un moment quelconque de leur vie, à remonter le cours de leurs idées et à rechercher par quels chemins leur esprit était arrivé à de certaines conclusions. Souvent cette occupation est pleine d’intérêt, et celui qui l’essaye pour la première fois est étonné de l’incohérence et de la distance, immense en apparence, entre le point de départ et le point d’arrivée.

Qu’on juge donc de mon étonnement quand j’entendis mon Français parler comme il avait fait, et que je fus contraint de reconnaître qu’il avait dit la pure vérité.

Il continua :

FIN DE L’EXTRAIT

______________________________________

The Murders in the Rue Morgue

[F]

What song the Syrens sang, or what name Achilles assumed when he hid himself among women, although puzzling questions, are not beyond all conjecture.
Sir Thomas Browne.

[F]

The mental features discoursed of as the analytical, are, in themselves, but little susceptible of analysis. We appreciate them only in their effects. We know of them, among other things, that they are always to their possessor, when inordinately possessed, a source of the liveliest enjoyment. As the strong man exults in his physical ability, delighting in such exercises as call his muscles into action, so glories the analyst in that moral activity which disentangles. He derives pleasure from even the most trivial occupations bringing his talent into play. He is fond of enigmas, of conundrums, of hieroglyphics ; exhibiting in his solutions of each a degree of acumen which appears to the ordinary apprehension præternatural. His results, brought about by the very soul and essence of method, have, in truth, the whole air of intuition.

[F]

The faculty of re-solution is possibly much invigorated by mathematical study, and especially by that highest branch of it which, unjustly, and merely on account of its retrograde operations, has been called, as if par excellence, analysis. Yet to calculate is not in itself to analyse. A chess-player, for example, does the one without effort at the other. It follows that the game of chess, in its effects upon mental character, is greatly misunderstood. I am not now writing a treatise, but simply prefacing a somewhat peculiar narrative by observations very much at random.

[F]

I will, therefore, take occasion to assert that the higher powers of the reflective intellect are more decidedly and more usefully tasked by the unostentatious game of draughts than by a the elaborate frivolity of chess. In this latter, where the pieces have different and bizarre motions, with various and variable values, what is only complex is mistaken (a not unusual error) for what is profound. The attention is here called powerfully into play. If it flag for an instant, an oversight is committed resulting in injury or defeat. The possible moves being not only manifold but involute, the chances of such oversights are multiplied ; and in nine cases out of ten it is the more concentrative rather than the more acute player who conquers. In draughts, on the contrary, where the moves are unique and have but little variation, the probabilities of inadvertence are diminished, and the mere attention being left comparatively unemployed, what advantages are obtained by either party are obtained by superior acumen. To be less abstract—Let us suppose a game of draughts where the pieces are reduced to four kings, and where, of course, no oversight is to be expected. It is obvious that here the victory can be decided (the players being at all equal) only by some recherché movement, the result of some strong exertion of the intellect. Deprived of ordinary resources, the analyst throws himself into the spirit of his opponent, identifies himself therewith, and not unfrequently sees thus, at a glance, the sole methods (sometime indeed absurdly simple ones) by which he may seduce into error or hurry into miscalculation.

[F]

Whist has long been noted for its influence upon what is termed the calculating power ; and men of the highest order of intellect have been known to take an apparently unaccountable delight in it, while eschewing chess as frivolous. Beyond doubt there is nothing of a similar nature so greatly tasking the faculty of analysis. The best chess-player in Christendom may be little more than the best player of chess ; but proficiency in whist implies capacity for success in all those more important undertakings where mind struggles with mind. When I say proficiency, I mean that perfection in the game which includes a comprehension of all the sources whence legitimate advantage may be derived. These are not only manifold but multiform, and lie frequently among recesses of thought altogether inaccessible to the ordinary understanding. To observe attentively is to remember distinctly ; and, so far, the concentrative chess-player will do very well at whist ; while the rules of Hoyle (themselves based upon the mere mechanism of the game) are sufficiently and generally comprehensible.

[F]

Thus to have a retentive memory, and to proceed by "the book," are points commonly regarded as the sum total of good playing. But it is in matters beyond the limits of mere rule that the skill of the analyst is evinced. He makes, in silence, a host of observations and inferences. So, perhaps, do his companions ; and the difference in the extent of the information obtained, lies not so much in the validity of the inference as in the quality of the observation. The necessary knowledge is that of what to observe. Our player confines himself not at all ; nor, because the game is the object, does he reject deductions from things external to the game. He examines the countenance of his partner, comparing it carefully with that of each of his opponents. He considers the mode of assorting the cards in each hand ; often counting trump by trump, and honor by honor, through the glances bestowed by their holders upon each. He notes every variation of face as the play progresses, gathering a fund of thought from the differences in the expression of certainty, of surprise, of triumph, or of chagrin. From the manner of gathering up a trick he judges whether the person taking it can make another in the suit. He recognises what is played through feint, by the air with which it is thrown upon the table. A casual or inadvertent word ; the accidental dropping or turning of a card, with the accompanying anxiety or carelessness in regard to its concealment ; the counting of the tricks, with the order of their arrangement ; embarrassment, hesitation, eagerness or trepidation—all afford, to his apparently intuitive perception, indications of the true state of affairs. The first two or three rounds having been played, he is in full possession of the contents of each hand, and thenceforward puts down his cards with as absolute a precision of purpose as if the rest of the party had turned outward the faces of their own.

[F]

The analytical power should not be confounded with ample ingenuity ; for while the analyst is necessarily ingenious, the ingenious man is often remarkably incapable of analysis. The constructive or combining power, by which ingenuity is usually manifested, and to which the phrenologists (I believe erroneously) have assigned a separate organ, supposing it a primitive faculty, has been so frequently seen in those whose intellect bordered otherwise upon idiocy, as to have attracted general observation among writers on morals. Between ingenuity and the analytic ability there exists a difference far greater, indeed, than that between the fancy and the imagination, but of a character very strictly analogous. It will be found, in fact, that the ingenious are always fanciful, and the truly imaginative never otherwise than analytic.

[F]

The narrative which follows will appear to the reader somewhat in the light of a commentary upon the propositions just advanced.

Residing in Paris during the spring and part of the summer of 18.., I there became acquainted with a Monsieur C. Auguste Dupin. This young gentleman was of an excellent—indeed of an illustrious family, but, by a variety of untoward events, had been reduced to such poverty that the energy of his character succumbed beneath it, and he ceased to bestir himself in the world, or to care for the retrieval of his fortunes. By courtesy of his creditors, there still remained in his possession a small remnant of his patrimony ; and, upon the income arising from this, he managed, by means of a rigorous economy, to procure the necessaries of life, without troubling himself about its superfluities. Books, indeed, were his sole luxuries, and in Paris these are easily obtained.

[F]

Our first meeting was at an obscure library in the Rue Montmartre, where the accident of our both being in search of the same very rare and very remarkable volume, brought us into closer communion. We saw each other again and again. I was deeply interested in the little family history which he detailed to me with all that candor which a Frenchman indulges whenever mere self is his theme. I was astonished, too, at the vast extent of his reading ; and, above all, I felt my soul enkindled within me by the wild fervor, and the vivid freshness of his imagination. Seeking in Paris the objects I then sought, I felt that the society of such a man would be to me a treasure beyond price ; and this feeling I frankly confided to him. It was at length arranged that we should live together during my stay in the city ; and as my worldly circumstances were somewhat less embarrassed than his own, I was permitted to be at the expense of renting, and furnishing in a style which suited the rather fantastic gloom of our common temper, a time-eaten and grotesque mansion, long deserted through superstitions into which we did not inquire, and tottering to its fall in a retired and desolate portion of the Faubourg St. Germain.

[F]

Had the routine of our life at this place been known to the world, we should have been regarded as madmen—although, perhaps, as madmen of a harmless nature. Our seclusion was perfect. We admitted no visitors. Indeed the locality of our retirement had been carefully kept a secret from my own former associates ; and it had been many years since Dupin had ceased to know or be known in Paris. We existed within ourselves alone.

[F]

It was a freak of fancy in my friend (for what else shall I call it ?) to be enamored of the Night for her own sake ; and into this bizarrerie, as into all his others, I quietly fell ; giving myself up to his wild whims with a perfect abandon. The sable divinity would not herself dwell with us always ; but we could counterfeit her presence. At the first dawn of the morning we closed all the messy shutters of our old building ; lighting a couple of tapers which, strongly perfumed, threw out only the ghastliest and feeblest of rays. By the aid of these we then busied our souls in dreams—reading, writing, or conversing, until warned by the clock of the advent of the true Darkness. Then we sallied forth into the streets arm in arm, continuing the topics of the day, or roaming far and wide until a late hour, seeking, amid the wild lights and shadows of the populous city, that infinity of mental excitement which quiet observation can afford.

[F]

At such times I could not help remarking and admiring (although from his rich ideality I had been prepared to expect it) a peculiar analytic ability in Dupin. He seemed, too, to take an eager delight in its exercise—if not exactly in its display—and did not hesitate to confess the pleasure thus derived. He boasted to me, with a low chuckling laugh, that most men, in respect to himself, wore windows in their bosoms, and was wont to follow up such assertions by direct and very startling proofs of his intimate knowledge of my own. His manner at these moments was frigid and abstract ; his eyes were vacant in expression ; while his voice, usually a rich tenor, rose into a treble which would have sounded petulantly but for the deliberateness and entire distinctness of the enunciation. Observing him in these moods, I often dwelt meditatively upon the old philosophy of the Bi-Part Soul, and amused myself with the fancy of a double Dupin—the creative and the resolvent.

[F]

Let it not be supposed, from what I have just said, that I am detailing any mystery, or penning any romance. What I have described in the Frenchman, was merely the result of an excited, or perhaps of a diseased intelligence. But of the character of his remarks at the periods in question an example will best convey the idea.

We were strolling one night down a long dirty street in the vicinity of the Palais Royal. Being both, apparently, occupied with thought, neither of us had spoken a syllable for fifteen minutes at least. All at once Dupin broke forth with these words :

"He is a very little fellow, that's true, and would do better for the Théâtre des Variétés."

[F]

"There can be no doubt of that," I replied unwittingly, and not at first observing (so much had I been absorbed in reflection) the extraordinary manner in which the speaker had chimed in with my meditations. In an instant afterward I recollected myself, and my astonishment was profound.

"Dupin," said I, gravely, "this is beyond my comprehension. I do not hesitate to say that I am amazed, and can scarcely credit my senses. How was it possible you should know I was thinking of …… ?" Here I paused, to ascertain beyond a doubt whether he really knew of whom I thought.

[F]

—"Of Chantilly," said he, "why do you pause ? You were remarking to yourself that his diminutive figure unfitted him for tragedy."

This was precisely what had formed the subject of my reflections. Chantilly was a quondam cobbler of the Rue St. Denis, who, becoming stage-mad, had attempted the rôle of Xerxes, in Crébillon's tragedy so called, and been notoriously Pasquinaded for his pains.

"Tell me, for Heaven's sake," I exclaimed, "the method—if method there is—by which you have been enabled to fathom my soul in this matter." In fact I was even more startled than I would have been willing to express.

[F]

"It was the fruiterer," replied my friend, "who brought you to the conclusion that the mender of soles was not of sufficient height for Xerxes et id genus omne."

"The fruiterer ! You astonish me, I know no fruiterer whomsoever."

"The man who ran up against you as we entered the street, it may have been fifteen minutes ago."

I now remembered that, in fact, a fruiterer, carrying upon his head a large basket of apples, had nearly thrown me down, by accident, as we passed from the Rue C… into the thoroughfare where we stood ; but what this had to do with Chantilly I could not possibly understand.

[F]

There was not a particle of charlatanerie about Dupin. "I will explain," he said, "and that you may comprehend all clearly, we will first retrace the course of your meditations, from the moment in which I spoke to you until that of the rencontre with the fruiterer in question. The larger links of the chain run thus—Chantilly, Orion, Dr. Nichols, Epicurus, Stereotomy, the street stones, the fruiterer."

There are few persons who have not, at some period of their lives, amused themselves in retracing the steps by which particular conclusions of their own minds have been attained. The occupation is often full of interest and he who attempts it for the first time is astonished by the apparently illimitable distance and incoherence between the starting-point and the goal. What, then, must have been my amazement when I heard the Frenchman speak what he had just spoken, and when I could not help acknowledging that he had spoken the truth. He continued :

THE END OF EXTRACT.

______________________________________

Published by Les Editions de Londres

© 2012- Les Editions de Londres

www.editionsdelondres.com

ISBN : 978-1-909053-34-2