Scène Première

MARION, LE CHEVALIER, portant un faucon sur le poing, et vraisemblablement affublé d'un cheval-jupon, simulant un palefroi.

MARION.

(chantant.)

Robin m'aime, Robert m'a,
Robin m'a demandée, et il m'aura !
Robin m'acheta cotelle
[Note_1]
D'écarlate bonne et belle,
Souquenille cl ceinturelle,
A leur i va !
Robin m'aime, Robin m'a,
Robin m'a demandée, et il m'aura 
!

LE CHEVALIER.

Je revenais après le tournoi
Quand trouvai Marote seulette,
Au corps gent
.

MARION.

Hé ! Robin, si tu m'aimes,
Par amour emmène-moi 
!

LE CHEVALIER.

Belle, Dieu vous donne bonjour !

MARION.

Que Dieu vous garde !

LE CHEVALIER,

Par amour,
Douce fillette, à moi contez
Pourquoi cette chanson chantez
Si volontiers et si souvent ?
« Hé, Robin, si tu m'aimes,
Par amour emmène-moi ! 
»

MARION.

Beau sire, apprenez pourquoi :
C'est que j'aime Robin, moi !
Et que Robin m'aime de même !
Et pour prouver combien il m'aime
Il m'a donné ce beau couteau,
Cette houlette !

LE CHEVALIER.

Aucun oiseau
N'as-tu vu voler sur ces champs ?

MARION.

J'en ai vu voler plus de cent !
Encore il y a en ces buissons
Chardonnerets et pinsons,
Qui chantent moult joliment !

LE CHEVALIER.

Si Dieu m'aide, belle au corps gent,
Ce n'est point ce que je demande.
Mais vis-tu par ici devant
Près de ce ruisseau quelque cane ?

MARION.

Si j'ai vu par ici quelque âne ?
J'en ai vu trois sur le chemin,
Qui menaient leur charge au moulin !
Est-ce ce que vous demandez ?

LE CHEVALIER.

Ah ! me voilà bien renseigné !
Dis-moi, vis-tu quelque héron ?

MARION.

Un héron ! Sire, ma foi, non !
Je n'en vis nul depuis carême,
Où l'on en servit chez Dame Éme,
Grand'mère, à qui sont ces brebis.

LE CHEVALIER.

Ma foi ! je suis tout ébaubi.
Jamais je ne fus plus déçu !...

MARION.

Sauf le respect qui vous est du,
Sire, quelle est donc cette bête
Avec un chapeau sur la tête,
Que vous portez sur votre main ?

LE CHEVALIER.

C'est un faucon.

MARION.

Mange-t-il pain ?

LE CHEVALIER.

Il ne mange que bonne chair.

MARION.

Qu'en faites-vous ?

LE CHEVALIER.

Il chasse en l'air,
Au-dessus de monts et rivière...

MARION.

Robin s'éjouit d'autre manière !
Il est d'un naturel joyeux
Et sait nous rendre tous heureux
Quand il joue de sa musette !

LE CHEVALIER.

Or dites, douce bergerette,
Aimeriez-vous un chevalier ?

(Il se rapproche.)

MARION.

Beau sire, il faut vous éloigner !
Je ne sais que chevaliers sont !
Au monde, de tous les garçons,
Je n'aime seul que Robin,
Il vient le soir et le matin,
Des amoureux selon l’usagé ;
Il m'apporte de son fromage.
Encore en ai-je dans mon sein,
Avec un gros morceau de pain
Qu'il m'a donné, la fois dernière.

LE CHEVALIER.

Or me dites, douce bergère,
Voulez-vous venir avec moi
Jouer sur ce beau palefroi,
Le long du bois, au fond du val ?

(Il fait caracoler son cheval.)

MARION.

Non pas ! Tirez votre cheval !
Il est trop vif et me fait peur !
J'aime beaucoup mieux la douceur
Du cheval, qui jamais ne rue.
Que Robin mène à la charrue.

LE CHEVALIER.

Bergère, soyez mon amie...
Et faites ce dont je vous prie.

MARION.

À Robin j'ai donné ma foi.
Ecartez-vous et laissez-moi !
Votre cheval me fait trop peur !...
Mais quel est votre nom, seigneur ?

LE CHEVALIER.

Bergère, je m'appelle Aubert.

MARION.

Eh bien, sire Aubert, c'est Robert
Ou Robin, que j'aime à jamais...

LE CHEVALIER.

Alors c'est non ?

(Il se rapproche d'elle.)

MARION.

Je n'en puis mais,
Laissez-moi ! Je vous ai dit non !

LE CHEVALIER.

Craignez-vous pour votre renom ?
Je suis seigneur, et vous bergère,
Et vous rejetez ma prière !

MARION.

Jamais je ne vous aimerai.

(Elle chante.)

Bergeronnette suis.
J'ai un ami
Beau, galant et gai
 !

LE CHEVALIER.

Bergère, Dieu vous donne joie !
Puisque ainsi est, j'irai ma voie,
Et ne vous dirai plus un mot !

MARION.

chantant.

Trairi, deluriau, dcluriau, deluriele,
Trairi, deluriau, delurau, delurot
 !

LE CHEVALIER.

chantant.

Aujourd'hui je chevauchais
Près de la lisière du bois.
Trouvai gentille bergère,
De si belle n'en vit le roi !
Hé ! trairi, deluriau, deluriau, deluriele.
Trairi, deluriau, deluriau, delurot !

(On entend chanter Robin qui approche. — Le chevalier s'éloigne.)

MARION.

Hé ! Robichon, leure leure va,
Je vais à toi, leure leure va !
Nous irons jouer du leure leure va,
Du leure leure va !