C'est fait, à peine de retour d'un bref voyage transmanche, nous avons pris la décision. Nous allons le faire. Le grand Saut. Ce n'est pas la Manche que nous venons de franchir, mais un vrai Rubicon, alors, bien que nous ayons passé les Ides de Mars (nous avons bien fait attention à la date), que ce soit le joli mois de Mai, avec enfin un peu de beau temps, nous espérons toutefois qu'il ne se trouvera pas un Brutus pour nous planter un bon coup de navaja dans le dos ; cela ferait un peu désordre, une maison d'édition numérique si jeune, avec tant d'avenir devant elle, soudain victime d'un polar sanglant qu'elle ne publiera jamais...

Cette décision, la voici, après quelques mois de gratuit, nous passons au payant. Mais oui, nous osons, nos cent « classiques », libres de droit, vous les trouverez bientôt à € 0.99, presque tous, et en contrepartie, ils seront maintenant accessibles sur toutes les librairies numériques, toutes les tablettes, toutes les liseuses... La fête, quoi !

Et pourquoi cette décision? Au départ, we will always have Paris. En effet, aux Editions de Londres, nous n'avons rien contre Paris. Et quand nous nous rendons en terre lutécienne, beaucoup de choses nous frappent: l'absence de moustaches des autochtones, les camions de livraison sur les voies de bus, les quatre quatre dans les couloirs à vélo, la foule qui se masse et envahit la rue, gênant presque les manifestations de policiers dés que le soleil jette ses éclats printaniers sur les Parisiens soudain rendus à l'exercice du sourire, le fatalisme quant à l'avenir du pays, les Hollandistes qui se sont déjà remis au travail, deux Présidents pour le prix d'un au cours des commémorations du 8 Mai (ce qui donne un peu le ton sur l'aspect fort commercial, voire grande surface, des multiples privatisations à venir, histoire d'équilibrer les comptes de la Nation, avant que l'on ne puisse plus du tout se payer son café en terrasse, ou ne plus rien voir avec les trente tonnes qui emportent les différents trucs avec un peu de valeur, Arc de Triomphe, Obélisque de la Concorde...jusque dans le port de Tianjin). Bon, tout cela, bien qu'essentiel si l'on s'intéresse aux comparaisons 2012 – 1981, « des ténèbres à la lumière... » et tout ça, rendu en « volet de croissance » ( ce qui vaut tout de même mieux que volée de bois vert), tout cela nous éloigne du sujet, l'édition numérique.

Pour résumer, deux surprises permanentes dans l'édition numérique hexagonale : d'abord, la bataille entre le Bien (ceux qui privilégient le livre papier) et le Mal (ceux qui veulent le mettre en pixels); et la bataille entre ceux qui veulent faire payer des classiques, les méchants, et ceux qui ne veulent pas, les gentils. Voilà, depuis aujourd'hui, nous nous plaçons dans le camp des vilains (puisque nous ne sommes vraiment pas méchants ; en fait, nous gagnons à être connus...). Bon, de même que Marius Jacob s'explique dans Pourquoi j'ai volé nous avons tenu à présenter nos arguments.

1- Il faut tout de même un jour commencer à penser à nos coûts. Oui, OCR, relecture, corrections, coquilles, vérifications avec l'original, et couvertures, préfaces, éditiorialisations, biographies, et construction de site, référencement, construction d'ePubs et de Mobi...Avec le nombre d'heures passées en moyenne sur chaque livre (deux à trois jours), il nous faudra en vendre beaucoup pour éviter que l'Inspection du Travail ne nous tombe sur le paletot pour servage, travail forcé, ou plus prosaïquement emploi de corvéables à merci...

2- Notre projet n'a aucun sens si nous ne faisons pas payer nos livres. Le choix « libre de droit » du catalogue n'est que la première pierre fondatrice, mais comme notre but c'est de lancer de nouveaux auteurs, il serait tout de même bien d'amorcer un modèle économique, parce que, nous, nous ne croyons pas que les auteurs soient bien payés. Nous pensons même que le modèle économique est le problème de l'édition numérique à ce stade balbutiant du marché.

3- La valeur d'usage et la valeur d'échange. Au début, nous avons privilégié la première. Sans renoncer à la première, nous allons maintenant nous occuper de la seconde.

4- La confusion qui existe dans l'esprit de certaines chapelles sur la définition du mot gratuit. Un livre numérique à prix zéro n'est pas gratuit. Il n'est pas gratuit pour la société en général. Puisque l'absence de transaction, dans un monde outrageusement oppressé par l'Etat collecteur de fonds, est un manque à gagner économique, le financement potentiel d'un autre nouvel auteur par exemple... Et aussi, encore une fois, sans nous lancer dans un cours de microéconomie, le téléchargement gratuit n'a absolument rien, mais alors rien de gratuit pour l'usager. Donc, un euro, ou gratuit, ce n'est qu'une différence de pourcentage dans le prix réel payé par l'usager. Si ce n'est que la qualité impartie au produit (oui, je sais, ça grince...) que nous vendrons devra justifier cette différence.

5- Enfin, et ceci est probablement la raison essentielle, nous, aux Editions de Londres, nous voulons donner sa chance au nouveau Gouvernement, et ce fameux volet de croissance, du fond de notre île, nous allons y contribuer. Alors si nos classiques « enrichis » et libres de droits peuvent contribuer à quelques points de PIB, nous le réinvestirons dans nos jeunes auteurs affamés.

Ces auteurs, quelques semaines avant que vous les découvriez, ils vous en remercient.